Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire acte d’indépendance à l’égard de leurs conducteurs spirituels. Toutes les fois qu’un évêque a été déposé, les chapitres ont refusé énergiquement de tenir l’arrêt pour valide et de pourvoir à l’administration des diocèses, et il ne s’est pas trouvé une seule paroisse qui ait consenti à faire usage de la faculté qu’on lui octroyait de nommer elle-même ses pasteurs.

On peut croire également que la cour de Prusse ne voyait pas sans déplaisir, ni sans inquiétude, se prolonger indéfiniment une situation troublée et tendue, qui paraissait sans remède. Un souverain tel que le roi Guillaume prend difficilement son parti de se brouiller à jamais avec un tiers de ses sujets. Dans l’exaltation de sa colère, un catholique disait de lui : « C’est Henri VIII, moins Anne Boleyn.» Personne ne ressemble moins à Henri VIII que le roi Guillaume, et les patrons des lois de mai ont eu plus d’une fois à combattre ses royales sollicitudes et ses augustes scrupules. Après les attentats de Hœdel et de Nobiling, on éprouva le besoin de grouper pour la défense de l’ordre social toutes les forces conservatrices du royaume, et on s’alarma de voir les catholiques aigris, exaspérés, faire en mainte rencontre cause commune avec la révolution, conclure avec le socialisme des alliances électorales et des pactes de circonstance. On s’est aussi demandé si une politique qui abuse des mesures brutales et en fait un moyen ordinaire de gouvernement n’est pas une mauvaise école pour les peuples, s’il n’est pas fâcheux de les accoutumer à croire, sur la foi des exemples qu’on leur donne, qu’on peut remédier à toutes les situations incommodes par l’arbitraire et la violence. Enfin on n’a pas tardé à s’apercevoir que le Culturkampf réjouissait surtout les mécréans, les libres penseurs et les juifs, lesquels ne sont pas en bonne odeur à la cour de Prusse, et que les lois de mai ne causaient une satisfaction sans mélange a qu’à ces passions révolutionnaires qui englobent dans la même condamnation la sœur grise et le jésuite, le pasteur fidèle à son roi et le brouillon de sacristie, l’évêque tout appliqué à l’exercice pacifique de ses fonctions et le dévot intrigant qui se faufile dans les familles pour y semer la zizanie. »

On avait au Vatican encore plus qu’à Berlin d’excellentes raisons de soupirer après la conclusion d’un traité de paix. Sans doute, le berger pouvait se glorifier de la fidélité que lui avaient témoignée ses ouailles dans les douloureuses épreuves qu’on venait de traverser. On s’était bercé de l’espérance que cette inébranlable fidélité ferait impression sur le gouvernement prussien, qu’il reconnaîtrait la vanité de son entreprise, qu’il renoncerait à détruire ce que le ciel a uni, qu’il se relâcherait de ses avantages et de ses rigueurs; mais le gouvernement prussien ne s’est relâché sur rien, il a continué d’appliquer sans ménagement les lois que son parlement avait votées, il n’a donné aucune marque de repentir ni de résipiscence, et on a vu s’accroître d’année en année le nombre des cures sans curés et des paroisses catholiques