Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/725

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poème dramatique, c’est un poème historique, et, tout intérêt se trouvant écarté, la froideur s’exhale de ces dialogues qui n’agissent plus, de cette intrigue qui n’est qu’un prétexte à tirades, enfin de cet ensemble qui peut être d’ailleurs très ingénieusement exécuté, mais qui n’en reste pas moins tout à fait dépourvu de vérité scénique et de vie.

Il nous paraît qu’en ayant choisi Attila pour sujet, M. de Bornier a subi la séduction du mirage dont nous parlions, et il nous semble qu’en le traitant comme il l’a traité, il est tombé précisément dans le défaut que nous venons d’indiquer. Avec des qualités de conscience littéraire, de l’élévation dans les idées, et parfois une véritable éloquence dans l’expression, est-il arrivé à écrire un drame qui se tienne debout ? La simple analyse du sujet va répondre à cette question.

Le premier acte nous représente le camp des Huns sur le bord du Danube. Les prisonniers sont passés en revue et partagés entre différens chefs. Attila s’attribue le roi des Burgundes, Herric, et sa fille Hildiga. Il se propose d’en faire une dame d’honneur de sa future femme, la princesse Honoria, qu’il a demandée en mariage à l’empereur Valentinien, et il refuse de délivrer le roi et sa fille à un général franc, Walter, qui est venu lui offrir une rançon que le terrible Hun garde avec celui qui l’apporte. Mais cet espoir de l’alliance romaine est bientôt déçu, et déçu aussi, cruellement, l’espoir de Hildiga et de Walter, car un ambassadeur romain vient déclarer à Attila que l’alliance demandée est repoussée. Aussitôt, dans sa fureur, par un caprice inexplicable, Attila prend la résolution d’épouser Hildiga et lui déclare que, si elle refuse ou si seulement elle laisse voir qu’elle est contrainte, tous les prisonniers, parmi lesquels son père et Walter, seront jetés aux lions. La princesse, épouvantée, cède et subit silencieusement la malédiction de son père et des prisonniers, qui lui jettent l’anathème au moment où elle se dévoue pour eux. Les noces ont lieu et sont ensanglantées par la mort de Walter. Attila soupçonnant en effet, sur les déclarations de son devin, que quelqu’un se propose d’enlever la princesse, emploie cette ruse d’offrir de donner la liberté à tous ses prisonniers. Walter, pris à ce piège, refuse cette liberté sous d’étranges prétextes ! les soupçons du barbare sont confirmés. La dispute s’engage entre eux et se termine par l’exécution de Walter. Mais les crimes seront punis : car Hildiga, nouvelle Judith, a pu cacher la hache d’Attila sous l’oreiller du lit nuptial. Elle le frappe dans la nuit même de leurs noces. La coutume hunnique cependant veut qu’un roi frappé de la main d’une femme soit déclaré infâme et ses enfans inhabiles à lui succéder. Attila, blessé mortellement, retrouve donc un reste de force pour déclarer qu’il vient lui-même dans un accès de folie d’attenter à ses jours ; mais il n’a pas même la joie de voir couronner l’un de ses fils, car pendant le festin des noces on a brisé les chaînes des prisonniers, et c’est le drapeau de Lutèce que le Fléau de Dieu voit flotter dans son agonie désespérée.