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teur plus intrépide ne lassa plus souvent la patience d’un contrôleur général. Qu’il s’agisse de lui-même, et d’une pension sur la cassette royale qu’il voudrait obtenir par l’intermédiaire de M. Necker, d’un oncle de sa femme (nièce de l’abbé Morellet), qui sollicite une place à la caisse de Poissy, d’un beau-frère du susdit abbé qui voudrait conserver son liard dans les octrois de Lyon, ou de tout autre parent ou allié ; Marmontel ne met pas au service de ses demandes incessantes moins de souplesse d’argumens et de variété d’intonations qu’il n’en apporte dans les complimens adressés à Mme Necker. Tantôt il se pose en personnage désintéressé. Il ne se mêle pas souvent de sollicitations, et il est trop reconnaissant des bontés de M. et de Mme Necker pour en abuser par des demandes importunes. Tantôt il se prosterne dans des effusions de gratitude : « les paroles lui manquent ; vox faucibus hæsit, » et le souvenir de la bonté qu’on a eue pour lui sera plus précieux que le service rendu. Parfois, au contraire, il prend le ton de l’aigreur ; s’il ne peut obtenir de M. Necker ce qu’il obtiendrait d’un ministre juste, il sera obligé de dire à la famille de sa femme (dont il me semble que l’aversion n’était pas si insurmontable) qu’il est décidément sans influence et de l’engager à employer des protections plus puissantes. Mais, lorsqu’il a obtenu ce qu’il demande, il ne pense pas un instant à méconnaître les obligations qu’il a contractées vis-à-vis de M. Necker. Ce n’est pas à un homme comme lui que la reconnaissance est pénible ; il se fait gloire d’en devoir à M. Necker, et il est fier de ses bontés.

Il faut, pour être tout à fait équitable, reconnaître que Marmontel payait en monnaie d’auteur les services d’argent que lui rendait M. Necker. À sa qualité d’historiographe du roi on peut dire qu’il joignait celle de poète attitré de la famille Necker. Nous le verrons plus tard rimer des couplets pour Mme Necker. Mais avant de célébrer les charmes de la fille, il avait commencé par chanter ceux de la mère. La Sainte-Suzanne lui inspirait une pièce de vers dans le goût du temps, où il représente chaque dieu et chaque déesse de l’Olympe voulant faire quelque don à une mortelle : Apollon la poésie, Minerve la sagesse, Vénus la grâce et chargeant la Vérité du choix :


Qui fut chargé de ce message ?
Ce fut l’aimable Vérité.
De ces dons le juste partage
Fut remis à son équité.
À les placer elle s’empresse,
Mais bientôt ayant deviné
Qu’ils avaient tous la même adresse,
À Suzanne elle a tout donné.