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La richesse de cette façade consistait en bas-reliefs précieux encastrés dans les parois ; sculptures empruntées à Altino, Aquilée, Grado, Torcello, Byzance et même à la Perse; dans le revêtement de marbre d’Orient sur toute la surface, et dans la décoration des archivoltes précieusement fouillés, dont le plus important enveloppe l’admirable porte qui donne accès dans l’atrium. Il va sans dire qu’en procédant aux travaux, on a conservé tous les bas-reliefs, mais le revêtement tout entier a été renouvelé, et la façade a pris un ton gris, froid et sec, sur lequel les chapiteaux et les sculptures noircis par le temps se détachent durement. On a cru devoir, pour plus de régularité, ramener les colonnes antiques, prises toujours çà et là et souvent hors de mesures, au diamètre des chapiteaux qui les couronnent. Par un travail de râpe et un grattage on a détruit leur galbe vénérable et le brillant dont leur riche matière est susceptible. Les bases partout relevées sont solidement assises sur des fondations nouvelles, les moulures vives et nettes ont je ne sais quoi d’exact, de symétrique et de prévu qui succède à un parti-pris moins rigoureux et souvent très irrégulier; et le fond de vert antique sur lequel se profile l’arc arabe du XIIIe siècle, avec son curieux bas-relief de la Nativité, ayant gardé la patine du temps parce qu’on a senti tout le prix de la sculpture, il résulte de cette opposition de couleur une violente discordance dans l’effet d’ensemble. Je ne voudrais pas entrer dans le détail des choses, mais il est nécessaire d’observer aussi que le revêtement de marbre primitif avait, indépendamment du prix de la matière et de sa rareté, une physionomie toute spéciale qui accusait et son époque et son origine : le revêtement actuel présente les veines du marbre dans le sens perpendiculaire tandis que l’ancien les montrait dans le sens horizontal. Il résulte de ces divers partis-pris un aspect tout autre que l’aspect primitif et une façade moderne, qui, même si on accepte le principe de la substitution des marbres, a perdu bien autre chose que ce hâle du temps qui en harmonisait les parties diverses.

Nous ne faisons qu’indiquer la récente addition du sarcophage de Manin sous l’arc extérieur qui relie le temple au palais épiscopal. Il est facile de se convaincre que ce monument funèbre n’est pas à l’échelle, que la matière en est lourde, commune et peu en harmonie avec le ton de l’édifice, et que le caractère de ces lions nature qui portent l’arca ne peut s’allier au parti-pris conventionnel et architectural des sculptures qui l’entourent. Si on réalisait, comme on le prétend à Venise, la pensée d’élever sur cette petite « Place des Lions» la statue équestre du roi Victor-Emmanuel dont l’érection est votée déjà, on pourrait risquer encore d’aggraver l’effet produit par ce manque d’harmonie. L’intérêt historique s’accroît certainement de ces contrastes que forment entre elles les