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tantôt rompus, tantôt presque intacts, et l’on entre dans la plaine basse et marécageuse que le Taurus déjà plus éloigné laisse entre ses contreforts et la mer.

Il ne restera plus presque rien, dans quelques années, des belles ruines de Pompéiopolis. Des ouvriers de Mersina sont occupés à débiter les blocs que l’on retire du mur d’enceinte, et on peut prévoir le temps où les entrepreneurs s’attaqueront aux colonnes du portique, connu sous le nom de dromos, qui va de la ville à la mer. On voit encore debout une cinquantaine de ces colonnes, couronnées de chapiteaux corinthiens ; elles profilent énergiquement leur galbe un peu lourd et leurs chapiteaux massifs sur le fond bleu du Taurus, et dessinent une ligne brisée qui aboutit au port aujourd’hui comblé. Chacune d’elles est décorée à mi-hauteur d’une sorte de console portant une inscription grecque ; ce sont les noms des empereurs. Il est probable que la ville de Pompéiopolis, suivant le système de flatterie usité dans toute l’Asie-Mineure, avait consacré un buste à chacun des empereurs romains; la série en était déjà longue quand on construisit le dromos et le portique, sans doute au temps de Dioclétien.

Les autres monumens antiques de Pompéiopolis ont servi de carrière pour les constructions nouvelles de Mersina. Cette petite ville doit un peu de vie au voisinage de Tarsous et aux paquebots des Messageries maritimes qui y font escale. Elle se compose à vrai dire d’une unique rue bordée de boutiques d’un côté : c’est le bazar, et plus loin de quelques maisons à l’européenne, surmontées de mâts de pavillon : ce sont les consulats. La rue se prolonge par une route bien entretenue qui va jusqu’à Tarsous. Une compagnie de voitures, la Cilicienne, fondée par un Grec, fait le service de Mersina à Tarsous, et transporte commodément les voyageurs dans des breaks qui contrastent avec les lourds arabas traînés par des buffles. Au reste, des champs bien cultivés, plantés de sésame et de cotonniers, une route droite et unie, donnent au pays un aspect presque européen. Bientôt les minarets de Tarsous, émergeant des jardins et des vergers dont la ville est entourée, rappellent qu’on est encore en Orient, et la voiture de la Cilicienne entre au bruit des grelots dans la ville qui se glorifiait, à l’époque romaine, d’être « la première, la plus grande, la plus belle, la métropole de la Cilicie. »

Tarsous est presque désert pendant l’été. Le bazar, tout neuf, rebâti en pierres après un incendie récent, est à peu près vide. Il n’est en pleine activité que l’hiver, quand les paysans de la Karamanie viennent y vendre leurs denrées. Au mois de juillet, alors qu’une lourde chaleur pèse sur la ville endormie, les longues avenues du bazar