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avec le crime commis et la peine infligée. — Le procès dura toute une année, pendant laquelle, au milieu des démarches tentées par les parens des accusés, les vicissitudes de l’instruction, qui transpiraient, laissaient tantôt croire à la condamnation, tantôt compter sur l’acquittement. Ce qui circulait de rumeurs de toute sorte pendant les derniers mois ne contribua pas peu à augmenter l’émotion populaire. On disait que la Cenci montrait dans sa prison un repentir et une piété admirables. On racontait ses jeûnes et ses macérations. Par son testament, elle donnait à de nombreuses églises, à des confréries, à des couvens, des sommes destinées soit aux messes pour son âme, soit aux nombreux mariages de pauvres orphelines qu’elle dotait. Elle se recommandait en même temps « à la Vierge, à Dieu, au père séraphique saint François, à toute la cour céleste » ; son corps devait être enseveli dans l’église Saint-Pierre in Montorio, à laquelle particulièrement elle léguait des sommes importantes... La nouvelle du prochain supplice produisit donc dans toute Rome une impression soudaine et profonde, qui devait arriver à son paroxysme pendant la dernière journée.

Il faut, si l’on veut suivre ici l’ardente fermentation de l’imagination populaire, tenir compte de deux élémens : l’extrême sensibilité de la population romaine, particulièrement quand il s’agit d’impressions religieuses, et la nature complexe du gouvernement pontifical, d’où naissaient en de telles circonstances des contrastes de nature à étonner dans tous les temps l’esprit public. En voulant exercer bonne et sévère justice, avec les mêmes cruels moyens que pratiquait chaque époque, ce gouvernement se préoccupait beaucoup de l’âme du coupable; d’accord avec les mœurs, il autorisait autour du criminel un grand développement de démonstrations extérieures, de processions, de prières et d’actes religieux. Il obtenait aisément des marques abondantes de repentir, qui contribuaient à surexciter la pitié de tout un peuple. Le glas funèbre retentissait toute la nuit dans la ville; des affiches, partout exposées, invitaient à la prière; des quêtes se faisaient publiquement pour subvenir à des aumônes spéciales; les membres des diverses confréries, vêtus de la cagoule et torches en main, parcouraient les rues, précédés du crucifix couvert d’un crêpe, pour se rendre dans leurs oratoires ou vers le lieu de supplice; les condamnés traversaient à pied la foule au milieu du bruit confus des psalmodies... Comment l’esprit populaire n’aurait-il pas éprouvé un certain embarras à distinguer le bien du mal? D’un côté des supplices horribles, dont on ne cachait rien, par une intention de moralité, mais qui, bien supportés, soulevaient, malgré la dureté des mœurs, la commisération pour les victimes; d’autre part tout un déploiement solennel de charité autour des condamnés pour obtenir le rachat de l’âme sans renoncer à livrer le corps; avec cela une procédure secrète, c’est-à-dire la place laissée au soupçon, à l’exagération, à la calomnie; ajoutez l’esprit d’opposition