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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/453

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de la Bosnie et de l’Herzégovine. Il y a d’abord des raisons de convenance géographique que j’ai indiquées ici même il y a douze ans déjà[1]. Comme le disait un jour un guide monténégrin à Mme Muir Mackenzie, la Dalmatie sans la Bosnie, c’est un visage sans tête, et la Bosnie sans la Dalmatie, c’est une tête sans visage. Faute de communications avec les pays qui s’étendent derrière eux, les ports dalmates qui portent de si beaux noms ne sont plus que des bourgades complètement déchues de leur ancienne splendeur. Ainsi Raguse, jadis république indépendante, a 6,000 habitans ; Zara, 9,000 ; Sebeniko, 6,000. Cattaro, situé au fond de la plus belle baie qu’on puisse rêver, et où se creusent de toutes parts des bassins naturels assez vastes pour recevoir toute la marine de l’Europe, Cattaro a 2,078 habitans. Dans ces cités appauvries, des mendians habitent les palais de Dioclétien et des anciens princes du commerce, et le Lion de Saint-Marc ouvre encore ses ailes de marbre sur des bâtimens qui tombent en ruine. L’unique moyen de rappeler l’activité dans ces ports déserts, c’est évidemment de les réunir par des routes et des chemins de fer aux villes bosniaques. La Bosnie, à son tour, pour prospérer doit rentrer en possession de son littoral qui lui appartient de par l’histoire, la géographie et l’ethnographie. L’Autriche seule peut accomplir cette réunion.

Les difficultés intérieures dans la Bosnie et l’Herzégovine justifient aussi l’occupation autrichienne. Dans ces provinces, on compte environ 400,000 mahométans, 700,000 grecs unis et 190,000 catholiques ; tous sont Slaves, identiquement de la même race ; mais les mahométans possèdent la propriété et forment la classe dominante. Ils descendent des familles qui, lors de la conquête turque, en 1463, se sont converties à l’islamisme pour conserver leurs propriétés, et depuis lors, abusant de leur prépondérance politique, ils ont enlevé les terres aux rayas par une série d’usurpations successives. Ceux-ci sont tenus de payer à leurs maîtres une redevance, la tretina, qui équivaut au tiers et parfois à la moitié du produit. La perception très arbitraire des impôts et de la tretina donnait sans cesse lien à des troubles et à des insurrections agraires, comme celtes qui en 1875 ont rouvert la question d’Orient. C’est exactement la même situation qu’en Irlande. Les propriétaires et les tenanciers sont de culte différent, et ainsi les conflits économiques se compliquent d’hostilités religieuses. Avec une autonomie locale sans contrôle, il eût été à craindre que la guerre civile n’éclatât entre des classes aigries par tant d’années de querelles et de luttes. Les Autrichiens ont donc

  1. Voir dans la Revue du 1er août 1868, les Nationalités en Hongrie et les Slaves du Sud.