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solidarité avec une politique intolérante, illibérale et vraiment jacobine[1] ? Ces voix peu suspectes auront-elles la chance de se faire écouter, ou bien, éconduits par leurs coreligionnaires politiques prêts à commettre les fautes irrémédiables, ces sages conseillers n’auront-ils, comme il est arrivé aux fidèles d’une autre cause, que la triste satisfaction d’avoir obéi à leur conscience en donnant de courageux mais inutiles avertissemens ? Devant une telle alternative, l’indifférence n’est pas de mise. Elle ne l’est pas surtout pour les partisans de la monarchie parlementaire, car un lien puissant unit entre eux, lors même qu’ils ne s’en rendent pas bien compte, les modérés de tous les partis. Leur commune destinée n’a-t-elle pas été devoir toujours le régime qu’ils préféraient se précipiter malgré eux vers sa ruine par ses propres excès ? c’est pourquoi il n’est pas interdit de prévoir qu’un jour viendra, plus ou moins éloigné, mais à peu près inévitable, où, lassés de leurs défaites successives, dégoûtés des vaines formules, impatiens de sortir des cadres fictifs où de vieilles dénominations les auront trop longtemps cantonnés, les vaincus de toute date et de toute origine s’entendront pour repousser tous ensemble l’oppression, d’où qu’elle vienne, et ne plus se courber, quoiqu’il arrive, ni devant les caprices d’un despote, ni devant les passions de la multitude. Les progrès de l’alliance seront lents et pénibles. Elle ne sera jamais solidement cimentée qu’entre ceux auxquels la forme du gouvernement, quelles que soient leurs préférences particulières, importera moins que la liberté et qui, pour servir cette sainte cause, seront prêts à sacrifier jusqu’à ces préférences elles-mêmes. Il n’y a que le temps et le cours forcé des événemens pour amener de pareils rapprochemens : ils ne s’improvisent pas. C’est la nécessité qui les impose. Quelques ombrages et beaucoup de tâtonnemens précéderont l’entente définitive. Elle ne manquera pas d’être, à diverses reprises, tantôt ébauchée, tantôt rompue, mais bientôt après reprise à nouveau. Plus l’union aura été laborieuse à se former, plus elle aura chance d’être durable. Comment celui qui écrit ces lignes oublierait-il qu’elle s’est déjà faite, il y a longtemps, et comme d’elle-même, sur le terrain des libertés nécessaires entre un grand nombre de républicains et les royalistes constitutionnels ? Lorsqu’aux jours des sérieuses épreuves je protestais presque seul en faveur de nos droits méconnus, et, plus tard, quand j’entamais par la voie de la presse une lutte rendue bien difficile contre les pouvoirs du temps, ne m’a-t-il pas été donné de compter les hommes considérables que je nommais tout à l’heure au nombre de mes conseillers les plus sûrs et parmi mes plus constans auxiliaires ?

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1879 et du 1er juillet 1880.