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qu’il est dans l’ordre des choses possibles qu’un homme vertueux et éclairé ait le pouvoir de faire des lois raisonnables, et qu’il n’est pas dans la nature humaine que tous les riches d’un pays renoncent, par vertu, à se procurer à prix d’argent des jouissances de plaisir ou de vanité. »


IV

Il n’y a, à mon avis, qu’un seul genre de luxe qui soit justifiable, c’est le luxe public, à la condition toutefois qu’il soit bien entendu. M. Baudrillart a écrit, à ce sujet, des pages excellentes. En voici un passage : « Tantôt il invite la masse à jouir de certains agrémens, comme les jardins publics, les fontaines ou le théâtre. Tantôt il ouvre les trésors du beau aux multitudes sevrées de la possession des œuvres de la statuaire et de la peinture. Il a, pour l’art, des musées, comme il a des bibliothèques pour les sciences et les lettres, et des expositions pour l’industrie. Sous toutes les formes enfin ce luxe collectif, s’il est bien dirigé, profite à tous. Il élève le niveau et féconde le génie de l’industrie. Ce luxe, en outre, a un mérite éminent, il ôte au faste ce qu’il a, chez les simples particuliers, d’égoïste et de solitaire. Il met à la portée de la foule des biens dont le riche seul jouit habituellement ou ne fait jouir momentanément qu’un petit nombre de personnes. » Le chapitre qui termine l’ouvrage et qui examine les réformes à introduire dans le luxe public renferme les vues les plus justes et les plus utiles. Plus la société devient démocratique, plus l’état est justifié d’intervenir dans l’encouragement accordé au grand art, ce qui est le seul luxe qu’il peut se permettre. A Athènes, sous Périclès, les deux tiers du revenu étaient consacrés aux monumens publics. Pindare dit, dans la 7e olympiade : « Le jour où les Rhodiens élevèrent un autel à Minerve, il tomba sur l’île une pluie d’or. » La pluie d’or qui tombe sur le peuple quand on encourage, comme il le faut, les lettres et les beaux-arts, c’est celle des jouissances pures et désintéressées. M. Félix Ravaisson dit très bien, quand il parle de l’Art dans l’école[1] : « Si l’éducation doit d’abord procéder par réalités et images, c’est pour s’en servir comme de véhicules, afin de s’élever à ce que l’intellectuel a de plus sublime. » Le mauvais superflu et les consommations grossières et dégradantes tiendraient-ils autant de place si les masses « étaient instruites, fût-ce dans une faible mesure, à se plaire dans cette sorte de divine et salutaire ivresse que procurent, par l’ouïe ou par la vue, les proportions et les harmonies ? L’homme du

  1. Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire.