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la grande-duchesse Hélène en quittant Bade pour rentrer en Russie par Stuttgart et Berlin[1]. A Varsovie, les événemens ont usé Lambert[2] et tué Gerstenszweig[3], qui s’est tiré deux coups de pistolet. A Pétersbourg, on dit Poutiatine[4] mis de côté et Ignatief[5] au moment de l’être. L’empereur, d’après les nouvelles qui m’arrivent, est fort mécontent des autorités dans l’affaire de l’université et de la maladresse dont elles ont fait preuve. »

Le mécontentement du souverain n’était pas sans fondement. Pour punir les étudians, on s’était attaqué aux études et à l’université même. Voici avec quelle amertume un des professeurs les plus distingués de Pétersbourg décrivait à Milutine les derniers événemens :


Lettre de M. K… à N. Milutine.


«  Saint-Pétersbourg, 27 octobre 1861.

«… Il faut avoir une foi robuste pour ne pas perdre tout espoir en voyant ce qui se passe autour de nous. Ce qu’il y a de plus clair pour ce qui me touche de près, c’est le meurtre de l’université. Il serait trop long et trop pénible de vous raconter comment deux êtres malfaisans, P… et S…, ont en quelques mois fait périr une institution qui promettait tant, et d’où commençaient à sortir des jeunes gens distingués. L’université de Pétersbourg n’existe plus ; trois cent cinquante personnes sont incarcérées aux forteresses de Pétersbourg et de Cronstadt, cent déportées sous escorte de gendarmes ; le reste est dispersé, ou bien les étudians n’ont plus accès à l’université. Ces salles où il y avait tant de vie, où c’était une joie de faire son cours, sont vides. Et pourquoi tout cela ? Il est épouvantable de penser que la main de ces…… n’a pas craint d’assassiner toute une génération… A présent, on est en train de juger les étudians. Pour quel délit ? On n’en sait rien, quand ce qu’il faudrait mettre en jugement, ce serait le rectorat, et le ministère de l’instruction publique, et P… et S…, et surtout le conseil suprême, qui a gouverné en l’absence de l’empereur.

  1. Lettre de Baden-Baden du 14/26 octobre 1861.
  2. Le comte Lambert, vice-roi ou gouverneur-général de Pologne.
  3. Le général Gerstenszweig, gouverneur militaire, qui s’était brûlé la cervelle à la suite d’une altercation avec le comte Lambert, altercation provoquée par l’occupation à main armée de la cathédrale et l’incarcération d’un grand nombre de Polonais arrachés de force des églises.
  4. L’amiral Poutiatine, marin fait ministre de l’instruction publique.
  5. Le général Ignatief (père de l’ancien ambassadeur à Constantinople), alors gouverneur-général de Saint-Pétersbourg.