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qu’aujourd’hui. La réception a été des plus bienveillantes, je dirai presque amicale. L’empereur a eu la bonté de s’excuser à plusieurs reprises de m’avoir dérangé inopinément. Il m’a autorisé (sans beaucoup d’efforts de ma part) à retourner à l’étranger pour terminer ma cure ; mais il a insisté sur son désir de me voir rentrer pour l’hiver prochain et reprendre (selon son expression) un service actif. J’ai presque pris l’engagement de le faire. En outre, j’ai profité de l’occasion pour faire ma profession de foi. — «  Ma santé, ai-je dit, n’est pas assez abîmée pour me condamner à l’oisiveté ; il y a un an, mon concours est devenu inutile au gouvernement pour des raisons que l’empereur connaît mieux que personne ; si ces raisons existent encore, je demande comme une grâce de rester à l’étranger. Sinon, je rentrerai au premier appel ; que l’empereur désigne le moment opportun. Il est seul juge et arbitre souverain. »

« Sa Majesté a daigné me parler longuement du comte Kisselef et m’a chargé de lui porter les paroles les plus affectueuses. L’empereur abandonne à sa décision le choix du moment le plus favorable pour se démettre de ses fonctions, mais il insiste formellement pour que le comte reste au service avec droit de séjourner partout où il lui plaira[1].

« Toute la ville est émue de la nomination du grand-duc (Constantin). Sauf les intrigans, on déplore généralement cette singulière combinaison qui laisse un grand vide dans le gouvernement de ce pays sans offrir beaucoup de chance de succès en faveur de l’autre.

« Avec les vœux les plus sincères pour votre santé, je me dis, Madame, à jamais

« De Votre Altesse Impériale le plus respectueux et le plus dévoué serviteur,

«  NICOLAS MILUTINE. »


On voit d’après ces lettres que, s’il se félicitait d’être personnellement dégagé des affaires polonaises, N. Milutine avait peu de confiance dans le succès de la combinaison qui l’affranchissait de cette pénible corvée. Le départ du grand-duc Constantin pour Varsovie lui paraissait d’autant plus regrettable qu’avec ce prince la cause des réformes perdait à Saint-Pétersbourg un de ses plus éclairés et plus puissans soutiens.

Tout en pensant, non sans raison, comme il l’avait déclaré au

  1. Le comte Kisselef, dont la santé s’était beaucoup affaiblie, donna en effet sa démission d’ambassadeur, quelques mois plus tard, lorsque son neveu N. Milutine était de retour en France.