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mais l’air est glacé. Les bouleaux ne font que commencer à verdir et sur les buissons et les tilleuls à peine si l’on voit quelques feuilles. On ne peut regarder sans compassion ces pauvres arbres phtisiques, qui tremblent comme pris de la fièvre. Et s’il n’y avait d’affreux que le climat ! mais le vide, la pauvreté, la malpropreté, l’absence de tout confort ! .  »

On voit quelle impression de mélancolie laissait à Milutine la pâle et indigente nature du Nord après le beau ciel et les opulentes campagnes d’Italie, après la vive et brillante société parisienne. Aussi, après quelques semaines de séjour à Pétersbourg, se hâtait-il de revenir à Paris jouir des derniers mois de son congé. Triste et fatigué, il quittait les rives de la Neva sous de sombres auspices au moment où des incendies, attribués aux Polonais, répandaient l’inquiétude et l’irritation dans la société et le peuple.


«  Saint-Pétersbourg, 24 mai 1862[1].

«… J’ai livré aujourd’hui mon dernier travail et fait mes adieux au grand-duc Constantin, chez lequel j’ai dîné à cette occasion… J’ai tantôt promis d’aller chez le prince Gortchakof, qui me donnera probablement ses commissions pour le comte Paul Dmitriévitch[2].

« Cette lettre ne me devancera, j’espère, que de deux ou trois jours. Je ne saurais dire avec quelle joie je fais mes paquets et mes préparatifs de voyage. Jamais les ennuyeux embarras des départs ne m’ont paru aussi agréables. Et cependant j’en ai beaucoup de ces embarras ; jusqu’à présent, j’ai été tout entier plongé dans les visites et les affaires de service. Pas une minute de repos…

«… Toute la ville est en grand émoi à cause des incendies depuis déjà trois jours éclatent tantôt d’un côté et tantôt c autre. Involontairement la pensée du peuple s’arrête sur des incendiaires…  »

Bien qu’il eût peu de confiance dans le succès de la mission confiée en Pologne au marquis Wielopolski, Nicolas Alexèiévitch s’éloignait sans prévoir que l’échec des plans pacificateurs du sagace Polonais allait bientôt rejeter sur lui le pesant fardeau dont il se félicitait justement d’être débarrassé.


III

Après ce court séjour à Saint-Pétersbourg, N. Milutine se trouvait plus que jamais dans la dangereuse situation d’un homme

  1. Lettre à sa femme.
  2. Le comte P. Kisselef, ambassadeur de Russie en France.