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voisines, les blessés transportables ; est-ce l’intendant qui saura quels malades peuvent ou doivent être transportés, quels moyens de transport seront pour eux bons, médiocres ou mauvais ? Le temps presse, chaque heure de retard dans les soins qu’on leur donne compromet le salut des blessés, et le ministre proclame que c’est précisément alors que le médecin doit laisser à l’intendance toute l’initiative, consulter l’administration et ne rien faire par lui-même !

M. le général Farre se déclare « vraiment épouvanté des attributions qu’on voudrait faire peser sur le médecin en chef ; » mais en quoi est-il plus effrayant de faire peser la responsabilité sur un médecin compétent plutôt que sur un intendant incompétent, comme le veut l’organisation actuelle, et l’on sait ce qu’elle a produit ? « Quand il s’agit, dit le ministre, de former un hôpital, d’organiser une ambulance, de recueillir les ressources du pays où l’on se trouve, on comprend que ces opérations puissent être faites avec entente, avec mesure et en même temps avec énergie par ceux qui ont l’habitude de traiter les affaires et qui ont parcouru une carrière administrative. Mais un médecin, qui est complètement étranger à la pratique de l’administration, quelle sera sa situation et comment pourra-t-il venir à bout de toutes ces difficultés ? Il aura, il est vrai, à sa disposition tous les agens, mais ne sera-t-il pas embarrassé pour leur donner des ordres ? J’avoue que cela m’inquiète très fort. » Cet argument répond à un préjugé fort répandu et contre lequel on se heurte lorsqu’on réclame, aussi bien dans la vie civile que dans la vie militaire, la part légitime du corps médical dans l’organisation des services hospitaliers. Cet argument réduit à une concision brutale peut ainsi se condenser : Le médecin est peut-être capable de soigner des malades, mais il est à coup sûr incapable de faire autre chose. Ainsi, l’homme qui a reçu une éducation aussi complète que possible, qui, tout d’abord, a dû acquérir les connaissances que représentent les deux baccalauréats ès-lettres et ès-sciences, l’homme qui a dû pour arriver au doctorat connaître la physique, la chimie, toutes les sciences naturelles, l’hygiène, la structure et le fonctionnement de l’organisme humain et ses altérations par la maladie, cet homme, par cela même qu’il est instruit, ce qui le suppose intelligent, est incapable d’acquérir en administration des aptitudes et des connaissances que possèdent sans doute, par grâce d’état, des administrateurs dont l’instruction générale est fort au-dessous de celle d’un docteur en médecine. On ne sait que ce que l’on a appris. Que l’intendant connaisse l’administration, qu’il ait la pratique des affaires, nous n’avons garde de le nier. Que le médecin, dans l’état actuel des choses,