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d’indigence, d’âge, de durée de séjour, de droit au secours, qui ne peuvent être laissées à l’appréciation du médecin, qui lui, ne voit que la maladie et aurait grand’peine à tenir compte, s’il était libre, des restrictions à l’admissibilité dictées par des nécessités budgétaires. Les hôpitaux militaires au contraire ont une clientèle absolument définie : être malade est pour le soldat la seule règle qui justifie et commande l’admission.

Les argumens de M. le ministre de la guerre, qui sont aussi ceux de l’intendance, n’ont donc aucune valeur, et l’assimilation des hôpitaux militaires aux hôpitaux civils est sous tous les rapports inacceptable.


III

Au-dessus de tous les raisonnemens a priori il y a les faits, il y a l’expérience, et nous allons voir que ce qu’on déclare inapplicable et à peu près impossible en France est appliqué à l’étranger ; nous allons voir que l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche, le Portugal, l’Italie, la Belgique, la Russie, nous ont ici encore devancés dans la voie du progrès en donnant à leur médecine militaire cette autonomie jusqu’ici refusée à la médecine militaire française.

Les campagnes de Crimée et d’Italie avaient mis en évidence les désastreux effets de notre organisation médicale militaire et l’insuffisance absolue de l’intendance. Si cette leçon fut perdue pour nous, l’étranger sut en profiter. Aussi, lorsque les États-Unis, au début de la guerre de la sécession, organisèrent leur service médical, ils donnèrent, pour la première fois, aux médecins la direction exclusive de ce service. Le résultat fut, on peut le dire, merveilleux. La chirurgie américaine, livrée à elle-même, pouvant déployer toute son énergie, toute son initiative et mettre à profit ses connaissances, sut ouvrir aux soldats blessés et malades 202 hôpitaux renfermant 136,894 lits, qui furent successivement occupés par le chiffre énorme de 143,318 blessés et 2,247,403 malades. Aussi est-ce avec un légitime orgueil que le compte-rendu officiel de la guerre (circulaire n° 6) a pu dire : « Au lieu de placer à la tête d’établissemens consacrés au soulagement des malades et des blessés des officiers de l’armée qui, quelles que puissent être leurs autres qualités, ne sauraient comprendre ce que réclame la science médicale et qui, avec les meilleures intentions du monde, peuvent rarement compromettre les soins du chirurgien,.. notre gouvernement, avec la plus sage confiance, fit du chirurgien le chef le commandant de l’hôpital, et tandis qu’il le rendait responsable de ses mesures organisatrices, il lui mettait entre les mains le pouvoir