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ce langage n’a eu aucune influence sur le choix et sur les résolutions du gouvernement français. Croirait-on que tous les magistrats envoyés en Égypte ont été immédiatement rayés des cadres de notre magistrature, et prévenus qu’ils n’y auraient plus d’avenir ? N’était-ce pas se condamner à n’exercer aucune action sur eux ? N’était-ce pas donner raison au khédive, qui prétendait considérer les nouveaux magistrats comme de purs Égyptiens placés sous sa direction exclusive ? N’était-ce pas, quand les autres gouvernemens faisaient luire aux yeux de leurs magistrats les plus brillantes espérances, vouer d’avance les nôtres à la froideur ou au découragement ? Chose curieuse ! la France, qui avait montré le plus de répugnance à renoncer aux privilèges consulaires, est, de toutes les nations, celle qui a le moins cherché à rétablir ces privilèges sous une forme nouvelle adaptée aux conditions de la vie moderne des peuples orientaux. Inconséquence grave qui lui a causé un dommage profond !


II

Les fautes que nous venons d’énumérer ont produit, avec une étonnante rapidité, leurs inévitables résultats. Nous avons dit que les nouveaux tribunaux avaient été installés sans nous, tandis que nous hésitions encore à donner notre adhésion au projet de réforme. Le corps de la magistrature avait immédiatement nommé vice-président (le président d’honneur est indigène dans la cour et dans les tribunaux) de la cour d’appel d’Alexandrie l’homme qui allait s’emparer des tribunaux mixtes, les soumettre à la plus sévère discipline et les conduire, coûte que coûte, au but qu’il se proposait d’atteindre et qui n’était autre que l’omnipotence politique : le conseiller autrichien, M. Lapenna. Il faut rendre justice à M. Lapenna : il a des qualités de gouvernement de premier ordre, et, sans sa main de fer, il est fort possible que des tribunaux composés d’élémens hétérogènes et disparates se fussent bientôt perdus dans l’anarchie. Mais à peine organisés, ils ont été saisis, enrégimentés, menés à la baguette avec une énergie telle que toutes les velléités de résistance ont disparu comme par enchantement. Un homme indépendant, le conseiller russe, M. Cumani, irrité de la précipitation avec laquelle on brusquait l’organisation de la nouvelle justice, voulait qu’on attendît, pour mettre en œuvre la machine judiciaire, que les magistrats fussent au complet et que les représentans de la France fussent arrivés. On trouva le moyen de lui rendre la vie tellement dure qu’il fut obligé de donner sa démission. Plus tard, un juge de première instance, d’humeur peu souple, essaya également de secouer le joug de la cour d’Alexandrie. Il fut