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On le voit : c’est l’amplification d’un bon élève de rhétorique, animé d’ailleurs, j’y consens, des meilleures intentions ; mais on a dit le mot et nous le répétons : Il n’est pas possible de voir autre chose dans Charlotte Corday qu’une tragédie de collège.

Et je le regrette, car je ne suis pas certain que le procédé de Ponsard, à tout prendre, ne fût pas le procédé classique. Assurément, c’est le procédé de Raynouard et de Marie-Joseph Chénier, c’est le procédé de La Harpe et de Marmontel. Il y a toutefois cette première différence que ces illustres rhétoriciens se meuvent dans la tragédie comme dans un habit à leur taille, fait pour eux et plié depuis longtemps à leurs gestes, à leurs attitudes, à leur démarche. Ponsard y est aussi gêné que nous le serions à nous promener par les rues dans un habit à la française, avec un manchon, et des souliers à boucle. Évidemment, le procédé n’est plus comme on dit, à sa main. Et puis au-dessus de Marmontel et de La Harpe, il y a Voltaire. Voltaire connaît l’art de sacrifier la plupart des détails qu’il a d’abord industrieusement rassemblés, et de ne laisser entrer dans le cadre de sa tragédie que ce qui importe à l’action[1]. Enfin au-dessus de Voltaire, il y a les maîtres,


……. Quos æquus amavit
Juppiter ;


ceux qui ont eu le don d’effacer jusqu’aux dernières traces du labeur de la lime, voilà pour la forme, et d’inspirer en quelque sorte la vie aux personnages qu’ils jetaient sur la scène, voilà pour le fond. Malgré la faiblesse des œuvres j’oserai donc dire que Ponsard était dans le vrai. La distinction peut paraître subtile, mais que le lecteur y réfléchisse un instant, et j’espère qu’il la trouvera juste. Les espérances de Ponsard étaient aussi droites, aussi dignes d’encouragement et d’appui que son œuvre dans son ensemble est faible, et que son influence a été légère. Il est donc non-seulement chose permise, mais chose juste, d’avoir pour l’homme et pour ce qu’il a tenté, autant de sympathie que peu de goût pour son œuvre. Elle avait raison, cent fois raison, l’école du bon sens, et si jamais l’heure vient pour elle de triompher dans le drame comme elle a triomphé dans la comédie, on n’en lira pas plus Ponsard, on ne l’en jouera pas davantage, mais on lui fera sa juste place dans l’histoire de la littérature contemporaine, et cette place sera singulièrement honorable.


III

Nous arrivons à M. Déroulède et à la Moabite. C’est ici, par exemple, que nous souhaiterions d’avoir sous les yeux un pur chef-d’œuvre, —

  1. Je ne parle, bien entendu, que des tragédies que Voltaire a composées pour la scène, et non pas des Guèbres ou des Lois de Minos.