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Guizot ; il y avait pour le moment le ministère Molé. Étape nouvelle et caractéristique dans le règne !

Élevé et maintenu à la présidence du conseil par le choix du roi, le comte Molé avait certes plus d’une qualité d’un premier ministre. C’était un personnage éminent par la naissance, par la position sociale, par la considération, comme par l’éclat d’une carrière habilement conduite à travers les révolutions. Ami des Pasquier, des Fontanes, des Chateaubriand, des Joubert à l’aube du consulat, formé à l’école administrative de l’empire et choyé pour son nom, pour son esprit, par Napoléon, ministre sous la restauration avec M. de Richelieu, membre du premier cabinet de la révolution de juillet, M. Molé était d’une autre race que ses puissans émules et il avait même auprès d’eux son originalité. Il portait au pouvoir une dignité aisée, de la justesse, du tact, des vivacités passionnées sous des dehors graves et fins, l’art de séduire les hommes et de saisir les circonstances, le goût des affaires et même de l’ambition ou, si l’on veut, le désir de briller. Les malicieux disaient avec M. Bertin de Vaux : « Personne ne surpasse M. Molé dans la grande intrigue politique ; il y est plein d’activité, de prévoyance, de sollicitude habile, de soins discrets pour les personnes, de savoir-faire avec convenance et sans bruit. Il y a plaisir à s’en mêler avec lui, — plus de plaisir que de sûreté… » Ce n’était ni un doctrinaire, ni un révolutionnaire, ni un homme de système ou de parti au pouvoir ; c’était avant tout un politique, ce qu’on appellerait aujourd’hui un opportuniste, — un opportuniste grand-seigneur, prenant les affaires de la monarchie de juillet à un moment difficile, croyant beaucoup à l’habileté, — et, de fait, soit habileté, soit chance favorable, le ministère dont le comte Molé devenait le chef au 15 avril 1837 ne laissait pas d’avoir ses bonnes fortunes. Il illustrait ses débuts, il croyait peut-être se populariser par une amnistie qu’il offrait comme le gage d’une politique nouvelle de conciliation. Il allait avoir ses succès militaires, la seconde expédition et la prise de Constantine, après un pénible échec essuyé l’année précédente, — bientôt un brillant fait d’armes dans les mers du Mexique, à Saint-Jean-d’Ulloa. Il avait surtout la chance de naître sous les auspices de deux événemens heureux : le mariage du duc d’Orléans avec la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin, que le duc de Broglie avait eu la mission d’aller chercher en Allemagne, et l’inauguration du palais de Versailles transformé en panthéon des gloires nationales.

Certes, s’il y a un moment où la monarchie de juillet a paru fondée, c’est ce jour de mai 1837 où, comme une autre duchesse de Bourgogne, la jeune princesse Hélène était reçue par le roi Louis-Philippe, entouré de sa famille et d’une cour