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faut pas la vouloir, mais il ne faut pas la craindre non plus. Le jour où vous inclineriez plus vers l’un de ces écueils que vers l’autre, vous auriez failli… » Ce que M. Thiers avait dit avant la coalition, il le reprenait avec plus de véhémence en plein combat et, saisissant corps à corps le ministère, accusant le gouvernement d’avoir tout compromis par un système d’équivoque, il ajoutait : « J’étais bien convaincu pour ma part qu’une politique qui, au dehors, consiste à ajourner toutes les difficultés, à reculer quand les difficultés se présentent, à les remettre au lendemain, à fermer les yeux devant les affaires au lieu de les ouvrir pour les résoudre, qu’une politique pareille devait prochainement accumuler autour de nous plus que des fautes, des malheurs. J’étais convaincu qu’au dedans, sans franchise, sans politique arrêtée, sans choix entre les partis qui divisent toujours une chambre, il était impossible d’être longtemps habile avec les hommes… J’étais certain que bientôt cet art qui consiste tantôt à s’appuyer sur le centre droit, tantôt sur le centre gauche, à dénoncer alternativement les uns aux autres, à dire aux doctrinaires : Nous voulons vous défendre du centre gauche, de ses chefs imprudens ! et au centre gauche : Nous voulons sauver le pays de ces hommes irritans qui l’ont compromis et le compromettraient encore si on les laissait aux affaires ! j’étais certain, dit-il, que cette politique qui consiste à nous dénoncer les uns aux autres ne réussirait pas longtemps, qu’elle aboutirait à ce résultat inévitable de réunir tout le monde contre soi »

Il parlait ainsi, parcourant tour à tour les affaires extérieures ou les affaires intérieures qu’il jugeait compromises par le ministère, et à ceux qui accusaient les coalisés d’être des révolutionnaires par ambition ou par rancune, M. Thiers répliquait avec une impétueuse vivacité : « On a dit que ces hommes avaient du dépit, qu’ils étaient des ambitieux déçus. Qu’il me soit permis de répondre une chose : un gouvernement est bien malhabile de venir, après quelques années, convertir en ambitieux déçus, en hommes dépités, en mauvais citoyens, les ministres qui l’ont servi et sur lesquels il s’est longtemps appuyé. S’il était vrai que nous eussions dans le cœur ces passions irritées que certaines gens nous prêtent, je m’en plaindrais encore au gouvernement ; je me plaindrais à lui d’avoir, en si peu d’années, aliéné le cœur de tous les hommes qui lui étaient dévoués et qui l’ont si fidèlement servi… » Chose curieuse et significative en effet ! après huit années passées à fonder la monarchie de juillet et en apparence couronnées de succès, tout semblait brusquement remis en doute ; des questions qu’on croyait résolues se ravivaient plus que jamais. Le problème