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savait parler à la raison et aux intérêts. A l’imagination publique un peu fatiguée de conflits parlementaires il réservait enfin un de ces coups de théâtre, une de ces diversions retentissantes qui passionnent pour un instant l’opinion : il négociait secrètement avec l’Angleterre la restitution des cendres de Napoléon, qu’un des fils du roi, le prince de Joinville, devait aller chercher à Sainte-Hélène. Il voyait dans cet acte un peu vain, plus généreux que prudent, si l’on veut, une satisfaction d’orgueil national, la marque d’une amitié nouvelle entre la France et l’Angleterre, peut-être aussi un moyen de popularité pour lui-même et pour son ministère. Il ne se doutait pas qu’au moment où tout semblait lui réussir, même la conquête du tombeau de l’empereur, il touchait à une de ces crises qui sont l’épreuve des hommes et des gouvernemens, à la crise aiguë des affaires d’Orient et du traité du 15 juillet 1840 signé en dehors de la France, contre la France, par le fait de l’Angleterre, âme de la coalition nouvelle.

Ces affaires d’Orient destinées à passer par tant de phases diverses sans arriver à un dénoûment, elles avaient cela de caractéristique en 1840 que la France s’y était attachée avec une certaine passion mêlée d’un peu d’imagination. La politique française, on le pensait, on le disait, avait eu des mécomptes depuis quelques années ; elle n’avait été heureuse ni dans les affaires de Belgique qui venaient de se clore au détriment du jeune royaume, ni dans les affaires d’Espagne abandonnées à elles-mêmes, ni dans les affaires d’Italie désertées par la récente retraite d’Ancône. La question d’Orient ressemblait à un dédommagement offert par la fortune. C’était un sentiment presque universel, assez naïf, exprimé dès 1839 avec une candeur éloquente par Jouffroy dans un rapport à l’occasion du vote d’un crédit de 10 millions proposé pour les « armemens du Levant. » Ce crédit de 10 millions demandé par le gouvernement, accordé par la chambre, c’était « le solennel engagement de faire remplir à la France, dans les événemens d’Orient, un rôle digne d’elle, un rôle qui ne la laisse pas tomber du rang élevé qu’elle occupe en Europe. » En quoi consisterait ce rôle ? C’est là que commençaient les illusions.

Il y avait deux choses dans cette question orientale telle qu’elle apparaissait : il y avait l’intérêt général, européen, de l’indépendance ottomane à sauvegarder à Constantinople contre les excès de prépotence de la Russie ; il y avait aussi pour soutenir de toutes parts l’équilibre oriental, à régler les rapports entre le sultan et le vice-roi d’Égypte qui venait d’infliger à l’armée turque la défaite de Nezib, qui, en faisant un pas de plus à travers le Taurus, pouvait tout ébranler et attirer les Russes sur le Bosphore. Dans la défense de l’intérêt commun, de l’indépendance ottomane à