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qu’elle a joué depuis la révolution française sur cette scène troublée où elle a été successivement le jouet des démagogues et des despotes, où elle a acquis et perdu tour à tour sa dignité, selon que la statue de la liberté était visible ou voilée, où elle a survécu aux trônes qui s’écroulaient autour d’elle et vu les transformations d’une société qu’anime un esprit nouveau et que poussent des forces jadis inconnues. Cette étude des maux qu’elle a soufferts doit être féconde en leçons. Mais il ne faut pas que nos annales soient seules à nous fournir leurs enseignemens. Si l’étude de l’histoire est une course dans le passé, l’étude des institutions contemporaines chez les peuples étrangers est souvent un voyage vers l’avenir. Le progrès de la démocratie n’est pas un fait particulier à la France : partout où l’activité de l’homme se déploie, son influence sur le gouvernement s’accroît en une égale mesure, Or la science, en multipliant dans des proportions infinies la puissance de l’homme, a contribué à développer partout son action. Il n’est pas un pays du monde qui échappe à ce flot montant des institutions populaires. Il est à propos de voir à la lumière de l’expérience comment les démocraties ont traité la magistrature, quelles luttes, quelles difficultés se sont produites, à l’aide de quelles solutions les peuples les plus avisés en ont triomphé, pourquoi d’autres ont échoué et comment il faut concilier les institutions judiciaires, dont la civilisation ne peut se passer, avec une évolution sociale qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de suspendre. A l’aide de ces données, avec le double enseignement de nos propres expériences et de celles des autres nations, nous pourrons peut-être sembler moins téméraires en reportant les regards sur nous-mêmes, vers un édifice qui a subi l’épreuve du temps, qui a résisté aux orages, dont l’architecture mérite tous nos respects, car il a abrité nos pères et est plein de leurs souvenirs, mais qui doit être accommodé aux besoins nouveaux, mis en harmonie avec les mœurs d’une société qui a tout simplifié, tout accéléré, qui a supprimé la distance, multiplié le temps, changé les conditions de la vie, et qui veut enfin améliorer l’organisation judiciaire. Ainsi, l’exemple d’un passé récent et l’expérience d’autrui nous aideront peut-être à séparer plus aisément ce qui est pratique et souhaitable des utopies dangereuses qui porteraient le désordre dans la justice et qui sont, à n’en pas douter, l’avant-garde de l’esprit révolutionnaire.

De l’organisation judiciaire en France avant 1789 nous ne voulons rien dire. Nous ne pouvons ici même traiter ce grand sujet, ni en faire un tableau en raccourci ; nous n’écrivons pas pour ceux qui en ignorent les traits généraux. Parler en une page des parlemens, des justices inférieures royales ou seigneuriales, serait aussi