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l’organisation judiciaire telle que l’avait créée l’empire, il avouait par une série de réticences habiles la secrète pensée d’en modifier l’esprit et d’en épurer le personnel.

À ces indices fâcheux vinrent se joindre d’autres causes d’alarme. Le bruit se répandit que des enquêtes étaient suivies secrètement sur le passé des magistrats, sur leurs opinions, sur celles de leurs proches ; aucun juge, aucun membre du ministère public n’était atteint, mais tous étaient menacés, et la sécurité n’était réservée qu’aux royalistes qui avaient fait montre de leur dévoûment. On ajoutait que les institutions judiciaires allaient être profondément modifiées. La chambre des députés, qui avait pris dès la chute de l’empire le sentiment de ses devoirs, se fit bientôt l’écho de ces inquiétudes. Le 25 août, M. Dumolard proposait de supplier le roi par une adresse d’accorder sans délai aux juges du royaume l’inamovibilité promise par la charte. Il rappelait que le salutaire principe de l’inamovibilité n’était pas une de ces idées vagues que l’on publie, puis que l’on ajourne. « Il nous faut, sans suspension et sans retard, s’écriait-il, des juges inamovibles par le même motif qu’il nous faut un roi inviolable, une chambre des pairs, une chambre des députés. » C’est à la « presque unanimité, » constate le Moniteur, que furent votés la prise en considération, l’impression et le renvoi aux bureaux de la proposition d’adresse (30 août 1814).

Le ministère ne pouvait conserver de doute sur l’issue du débat qui s’engagerait après l’examen des bureaux. La plupart des ministres partageaient d’ailleurs les convictions de la chambre. Malheureusement M. Dambray, dont l’autorité comme chancelier était prépondérante, avait des arrière-pensées d’une tout autre nature, et, auprès de l’abbé de Montesquiou comme autour des princes, s’agitaient les émigrés, moins ardens à réclamer des places pour eux-mêmes que résolus à poursuivre de leur haine les institutions nées de la révolution et à torturer le sens de la charte jusqu’à ce qu’ils eussent anéanti tout ce qu’elle n’avait pas expressément sauvé. Comme il fallait ne pas se laisser gagner de vitesse par la chambre, les partisans de l’ancien régime se hâtèrent d’examiner les divers projets de réforme judiciaire. On pensa d’abord à supprimer la cour de cassation et à rétablir sous le nom de grand conseil un corps qui, réunissant le conseil d’état et la cour suprême, eût fait ressusciter l’ancien conseil du roi. Puis on se demanda si, en maintenant l’institution des cours royales, elles ne pourraient pas être rehaussées par des privilèges qui leur rendraient l’éclat des parlemens, sans leur menaçante influence. Il n’est pas jusqu’aux justices de paix dont on ne pensa à modifier le caractère en les soumettant à l’autorité des grands propriétaires, qui auraient retrouvé dans les institutions nouvelles l’ombre des justices seigneuriales.