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parties détruit en 1790, avait semblé servir de modèle au ministère, A la cour de cassation, qui se sentait menacée, dans la presse, dans les brochures, on répétait que la cour suprême n’était plus., dans la pensée des ministres, qu’une section du conseil du roi et que le projet tout entier n’était que l’avant-coureur de mesures tendant à détruire nos institutions civiles.

La discussion répondit dignement à l’émotion publique. Les partisans de la loi s’efforcèrent d’amoindrir la portée du projet ministériel, mais leurs violentes attaques contre le rapporteur trahissaient leurs desseins ; les souvenirs du conseil du roi, si décrié que nul ne prit sa défense, et par-dessus tout l’immixtion du chancelier dans l’administration de la justice, donnèrent lieu aux plus vives critiques. À l’affirmation qu’il était permis au roi de juger ou de déléguer à qui bon lui semblait la justice, que le chancelier nommé par une ordonnance antérieure à la rentrée de Louis XVIII à Paris possédait un pouvoir supérieur à la charte, autorité qu’il tenait de la tradition monarchique, M. Flaugergues et ses collègues n’avaient pas de peine à répondre que la justice, émanant du roi, ne pouvait être sans despotisme exercée par lui, que le chancelier ne tirait de sa charge d’autre pouvoir que ceux conférés par la charte, au-dessus de laquelle nul ne pouvait se prétendre. Il est aisé de concevoir, sans qu’il soit besoin d’insister, quelle devait être l’indignation, non-seulement d’esprits libéraux ; mais d’hommes honnêtes et de bon sens contre un système qui, par la plus étrange confusion des pouvoirs, faisait du chancelier, du chef révocable de la magistrature, personnage chargé temporairement d’une fonction politique, le président d’un tribunal suprême, souverain juge des compétences et du droit[1].

La majorité ne permit pas au chancelier de devenir le premier président amovible de la cour de cassation. Quant à la réduction de la cour de cassation, elle fut accordée sans difficulté. Restreinte à ces termes, la loi aurait dû être portée sur-le-champ à la chambre des pairs, si le cabinet avait eu en réalité pour objet défaire réduire le chiffre exagéré des magistrats. Il préféra trahir ses vues secrètes en laissant tomber un projet qui, dépouillé de certains articles, perdait tout intérêt à ses yeux.

Il n’y avait plus de raison d’ajourner l’investiture. Le 15 février, on se décida enfin à publier la liste de la cour de cassation : M. de Sèze, le seul survivant des défenseurs de Louis XVI, remplaçait le

  1. Il est bon de voir comment, au cours de cette mémorable discussion, on signala à quels monstrueux abus pourrait conduire l’intervention du chancelier, seul juge révocable en des affaires d’intérêt politique où il pourrait vouloir, au profit d’un intérêt ministériel, soit entraîner les juges, soit peser sur eux, soit départager par sa voix un tribunal divisé qui hésiterait. (Séances du 22 au 27 décembre 1814.)