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elle n’en vaudrait que mieux, le principe sortant d’une telle épreuve mieux consacré ; qu’il était vain de rappeler les condamnations contre les journalistes, puisqu’on pouvait mettre en regard le récent arrêt par lequel une cour avait déclaré injurieuse pour le pouvoir la supposition qu’il pût violer les lois, frappant d’avance le coup d’état d’anathème.

M. Mauguin se livra alors à une des sorties violentes qui étaient le propre de son talent : il traça le tableau des cours remplies des partisans du droit divin, d’ennemis secrets de la souveraineté nationale ; emporté par l’ardeur de sa parole, il osa déclarer que Louis XVIII avait bien fait de changer en 1815 tous les magistrats, qu’il fallait à une réaction savoir opposer une réaction nouvelle, et que le secret de la force pour un pouvoir nouveau était l’art de supprimer toute résistance, d’abaisser tout obstacle.

Après des observations de M. Madier de Montjau reconnaissant les aberrations de quelques magistrats, mais déclarant que l’immense majorité était incapable de se laisser aller à juger en matière civile sous l’influence de sentimens politiques, toutes les propositions furent rejetées à une grande majorité.

Malgré ce succès, les défenseurs de la magistrature n’étaient pas sans inquiétude. Le ministre de la justice, M. Dupont (de l’Eure), qui aurait dû se joindre aux adversaires de la proposition, avait gardé le silence ; ses amis protestaient contre la générosité impolitique de la chambre. Ils essayaient de compromettre le nom du roi, qui (nous le tenons de bonne source) s’était dès le début exprimé sur ce point avec la netteté d’un bon sens éclairé par l’expérience de 1815, et qui eut quelque plaisir à placer à la tête du parquet de la cour de cassation celui qui avait contribué à sauver la magistrature. Néanmoins il était évident que, pour dissiper les préventions, il fallait qu’un sang nouveau pénétrât dans le corps judiciaire. Les démissions autant que les révocations des membres du parquet rendaient les nominations nombreuses : les choix furent rapides et heureux ; en quelques jours, le barreau donna à la magistrature des noms qui devaient l’honorer, MM. Victor Lanjuinais, Vivien, Barthe, Berville, Bernard (de Rennes), Aylies, Tardif, et tant d’autres, destinés soit à entrer dans les chambres, soit à s’élever à la fois dans la hiérarchie judiciaire et dans l’estime publique. Pendant ce temps, les cours s’assemblaient pour prêter, conformément à la loi, le serment au roi des Français et à la charte. D’honorables scrupules déterminèrent quelques magistrats à s’abstenir. Les démissions ne dépassèrent pas une centaine.

M. Dupont (de l’Eure) ne bornait pas ses soins au remaniement du personnel ; il proposait dès le 2 septembre l’abolition des juges auditeurs. Le rapporteur, ancien garde des sceaux du ministère