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poursuites entamées n’arrêtèrent pas les menaces ; des écrits injurieux furent répandus dans le ressort. Il n’était pas besoin d’un tel scandale pour exciter l’esprit des députés ; de tous côtés ils recevaient les doléances de leurs électeurs. Ils saisirent la première occasion de les porter à la tribune. Elle ne se fit pas attendre.

Sur la pétition de dix-neuf avocats de Clermont déclarant que les juges de Charles X n’obtiendraient jamais la confiance du pays, qu’ils se refusaient à comprendre comment la toge du magistrat serait plus inviolable que le manteau de la pairie ou le sceptre royal et qu’il fallait une institution nouvelle pour épurer la magistrature, la commission proposa le renvoi au ministre de la justice, qui serait invité à mettre tous les dépositaires des pouvoirs publics en harmonie avec l’ordre fie choses nouveau. M. Dupin, en repoussant le renvoi, ne se borna pas à invoquer les promesses formelles de la charte et le contrat qui était né du serment librement prêté par les magistrats, il montra qu’une investiture ajournée « était une suspension de la justice et plus encore un renversement de toute justice. » — « Si je condamne un tel, dirait le juge, il me fera perdre ma place ; si, au contraire, je sers les intérêts d’un tel, il m’appuiera, il me protégera. » Pénétrant jusqu’au fond de la question, M. Dupin demandait à la commission des pétitions si, pour apprécier un intérêt civil, un juge devait être du même parti politique que les justiciables ; avec de telles méfiances, il montrait l’impossibilité de composer un tribunal dans un pays où existait une grande diversité de sentimens ; il estimait que pour lui il aimerait mieux confier la solution d’un procès à tel de ses adversaires politiques qu’à tel de ses amis et qu’il était heureux, pour la confiance de tous, qu’il y eût dans la magistrature des hommes de toutes les opinions.

Ce discours plein de bon sens ramena le calme dans les esprits ; le débat avait trahi trop ouvertement les vues intéressées de tous ceux qui réclamaient à leur profit l’épuration judiciaire, la chambre refusa de prêter attention à de si misérables plaintes ; l’ordre du jour fut voté à la presque unanimité.

L’énergie modérée de quelques hommes avait préservé le gouvernement naissant d’sine lourde faute. Des récriminations se firent encore entendre ; mais ces avidités impatientes que la distribution soudaine de quatre cents places dans les parquets n’avait pas satisfaites furent calmées par le temps. Deux ans après la révolution de juillet, nul ne réclamait plus d’épurations générales. L’opinion publique, un moment agitée, n’avait pas tardé à reprendre son assiette et la magistrature à retrouver le respect auquel elle était accoutumée. Appartenant à cette classe moyenne qui avait fait la révolution, les magistrats vivaient en plein accord avec la société