point user à l’égard de la magistrature de son pouvoir dictatorial. Comme en 18Ï&, ce fut en province que la délégation, en contact avec les résistances, et voulant sans doute, comme les commissaires de M. Ledru Rollin, exercer une pression sur les électeurs, imagina, à la veille du scrutin, de prononcer la déchéance de quinze magistrats inamovibles qui avaient siégé dans les commissions mixtes.
Un plus grand nombre survivaient alors ; mais quinze furent choisis par M. Crémieux. A quel titre ? de quel droit ? Quelle qu’eût été leur faute, elle n’autorisait aucun pouvoir à violer lui-même la loi pour les punir de l’avoir transgressée. Les compagnies se refusèrent à recevoir le serment de ceux qui leur avaient été donnés pour successeurs, et, dès le 3 mars, M. Dufaure présentait au nom du gouvernement un projet de loi qui annulait les décrets de Bordeaux « comme contraires au principe constitutionnel de l’inamovibilité de la magistrature. » Peut-être, disait l’exposé des motifs, le chef du pouvoir exécutif « aurait-il eu le droit de les rapporter lui-même ; mais un grand principe de notre droit public est engagé dans la question ; il n’est pas inutile que vous le proclamiez de nouveau, comme l’a fait l’assemblée constituante de 1848. » Le garde des sceaux n’avait certes pas de tendresse pour les magistrats qui avaient fait partie des commissions mixtes ; il les jugeait avec une rare énergie[1] ; mais à ses yeux il s’agissait, dans cette heure de crise où rien ne semblait solide, de profiter d’une occasion pour écrire d’avance une ligne de cette constitution qui ne pouvait manquer de consacrer plus tard l’inamovibilité.
La commission et l’assemblée furent d’accord avec le gouvernement. L’hommage fut publiquement rendu au principe. Aux réserves et aux doutes de M. Limperani M. le duc d’Audiffret-Pasquier répondit avec une éloquence qui éclatait pour la première fois dans l’assemblée nationale et qui, ce jour-là, servit à la fois à flétrir les complices du coup d’état et à placer l’inamovibilité judiciaire dans une sphère supérieure comme le droit lui-même aux caprices de la politique. (25 mars 1871.)
- ↑ « Ce n’est pas que le projet que nous vous présentons doive être, dans une mesure quelconque, une justification personnelle des magistrats nommés dans le décret j ils ont oublié les plus saines traditions de la magistrature, lorsqu’ils ont compromis dans des commissions de bon plaisir le caractère honoré dont ils étaient revêtus ; ils ont, contre toutes les règles de la justice, jugé sans connaître, condamné sans entendre, appliqué à des délits sans noms des peines inconnues dans nos lois criminelles. » (Exp. des motifs. Journal officiel du 30 mars 1871, p. 337.)