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on crée d’étranges précédens. Depuis trois ans, avec la grande campagne des invalidations parlementaires, avec l’exécution des congrégations par la haute police, avec les mesures d’épuration qu’on prépare contre la magistrature, avec l’enquête qu’on vient de voter sur toute une période de l’administration de la guerre, on s’est exposé à forger des armes pour ceux qui voudront ou sauront s’en servir. On a justifié d’avance les représailles qui pourraient être exercées par d’autres. S’attaquer tantôt aux croyances religieuses, tantôt à la magistrature, tantôt à l’armée, accusée ou livrée dans ses chefs, C’est peut-être une étrange façon de servir la république. De tous ces faits on pourrait certes dire ce que M. de Freycinet disait l’autre jour en parlant des mesures d’exécution des décrets : « Nous ont-elles fait un seul ami ? Pouvaient-elles nous en faire un ? Non, elles ne pouvaient nous créer que des adversaires, et elles nous ont créé des adversaires parmi des gens dont peut-être un certain nombre seraient venus à nous. » C’est après tout la moralité la plus évidente de la politique du jour.

Bien d’autres nations que la France ont assurément aujourd’hui leurs problèmes et leurs embarras. Il y a en Europe, dans la plupart des pays, grands ou petits, des questions de toute sorte. Il y a avant tout, pour les puissances qui représentent la civilisation de l’Occident, il y a la question d’ordre international, d’équilibre général qui intéresse la paix, la sécurité universelle et dont la diplomatie est chargée. Celle-là, sans cesser d’être la première, la plus sérieuse par son caractère, n’a plus rien d’immédiatement menaçant depuis quelques jours, depuis que Dulcigno occupé par les Turcs a pu être transmis au Monténégro ; mais à part cette affaire commune à tous les états intéressés à l’équilibre des forces dans le monde, il y a dans tous les pays bien d’autres questions de toute nature, questions religieuses, politiques, sociales, économiques, toutes plus ou moins graves, plus ou moins pressantes selon les circonstances, souvent selon la passion du jour. Quel est le pays qui n’ait pas aujourd’hui sa question ? L’Angleterre a l’Irlande, dont les agitations passionnées deviennent un embarras croissant et ont failli, ces jours derniers, provoquer une scission dans le ministère de M. Gladstone. La Russie a le nihilisme, qu’elle s’efforce de combattre ou de neutraliser, tantôt par des répressions, tantôt par des apparences de concessions à des désirs, à des besoins de réformes intérieures qui ne font que s’accroître. L’Autriche a ses luttes de races, occupées à se disputer l’influence, la suprématie dans l’empire. La petite Belgique elle-même a ses conflits plus vifs que jamais entre libéraux et cléricaux. Qui aurait dit cependant qu’à l’heure présente du siècle, au milieu des progrès du temps, dans cette Allemagne qui se croit modestement la nation la plus civilisée du monde, qui aurait dit que, dans cette Allemagne, orgueilleuse de ses idées autant que de ses victoires, il se produirait tout à coup une question sémite ?