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Aux témoignages de confiance et de sympathie qui venaient de si haut témoigner à M. Necker les sentimens dont les classes privilégiées étaient alors animées, d’autres venaient s’ajouter plus modestes et plus humbles, mais qui, par cela même, étaient de nature à flatter davantage un amour-propre délicat. C’étaient des lettres que des bourgeois, des militaires, des prieurs et des supérieures de communauté lui adressaient du fond de leurs provinces, de leurs garnisons et de leurs couvens ; des vers rédigés par les ouvriers de l’imprimerie royale qui avaient imprimé le Compte-rendu ; des acrostiches tournés par les dames de la halle, tout un concert de louanges, dont les auteurs ne prétendaient ni à la notoriété ni à la récompense. Toutefois il s’en trouvait parmi ces enthousiastes quelques-uns dont les effusions n’étaient pas tout à fait aussi désintéressées. C’est ainsi que, dans ce fatras de lettres, j’en ai découvert une qui est ainsi conçue :


À MADAME NECKER.

Sous les traits de Mentor Minerve révérée,
Fit jadis aux Crétois admirer ses vertus :
Le sage respecté, les préjugés vaincus,
Dressèrent à sa gloire un immortel trophée.
Dans le char d’Apollon conduite par les Ris,
Elle descend encore du céleste hémisphère ;
Mais pour rendre aux Français sa présence plus chère,
Elle a l’esprit de Neckre et les traits de Cypris.

Je ne vous fatiguerai pas davantage, madame, par des répétitions rimées, de ce que le public ne cesse de dire en prose, ma voix est trop faible pour la mêler au concert que les muses donnent tous les jours à votre gloire, et je n’ai pas assez d’esprit pour attacher un fleuron à la couronne qu’elles vous préparent. Je n’ai point d’autre hommage à vous présenter que l’occasion de faire un heureux. Votre seconde métamorphose a dû combler les vœux d’une nation dont les délices sont de cultiver les sciences et qui se fait une gloire d’être soumise à l’empire des grâces. Si d’un jeune homme honnête et qui n’est rien, vous vouliez faire quelque chose, cette dernière transformation ne serait point aussi glorieuse pour vous, ni fort utile au genre humain, mais elle opéreroit le bonheur d’un individu, et Minerve, en dictant les loix qui devoient rendre heureux les peuples de Crète, n’oublioit pas l’infortuné qui gémissoit dans l’obscurité d’une retraite éloignée. Des mœurs, point de talent, une mauvaise écriture, une bonne volonté et un grand fond de reconnoissance, voilà tous mes titres ; s’ils ne suffisent point pour m’obtenir la grâce que je demande, peut-être la nécessité excusera-t-elle à vos yeux la liberté que je prends aujourd’hui, et je