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bien-être extraordinaire et des impressions de gaîté qui se traduisaient souvent par un rire bruyant. De là le nom de gaz hilarant (laughing gas) qui est resté au protoxyde d’azote. On remarquera que, dans ces premiers essais, Beddoes et Davy ne prétendaient pas abolir la douleur. Il s’agissait pour eux de moins ou de plus que cela. Ils crurent avoir bien mérité de l’humanité non pour avoir diminué ses souffrances, mais pour lui avoir offert une nouvelle forme du plaisir physique et intellectuel et avoir étendu la gamme des sensations que l’homme peut éprouver.

L’enthousiasme avec lequel Davy dépeignait les effets extraordinaires du protoxyde d’azote était bien fait pour impressionner le monde savant. Au bout de trois inspirations, il éprouve un extrême bien-être. Sa poitrine se dilate, et il éclate en accès d’un rire si vif et si franc que l’hilarité se communique aux témoins de la scène. Davy ressent dans tout le corps, surtout à la poitrine et aux extrémités, une sorte de chatouillement agréable qui va s’exaltant en même temps que le sens du tact devient plus exquis. La vue lui fournit des impressions plus vives, son oreille perçoit des bruits plus légers qu’à l’habitude. Dans son esprit se succèdent des images fraîches et riantes éveillant des perceptions d’une nature nouvelle et qui ne sont nommées dans aucune langue. Son intelligence est envahie par une extase délirante, les idées y éclatent avec une clarté et une vivacité extraordinaires ; le sentiment de la personnalité s’exalte en lui, et il est pris d’un immense orgueil en se sentant transporté dans un monde où chacun des mouvemens de son esprit crée une théorie ou une découverte. Il éprouve des impressions de plaisir vraiment sublimes, atteignant bientôt un tel degré qu’elles absorbent entièrement sa conscience et lui font perdre tout sentiment de lui-même et du monde qui l’entoure.

« Dans la nuit du 5 mai, dit-il, je m’étais promené pendant une heure dans les prairies de l’Avon ; un brillant clair de lune rendait ce moment délicieux, et mon esprit était livré aux émotions les plus douces… C’est alors que je respirai le gaz… J’éprouvai alors une sensation de plaisir physique, toute locale, limitée aux lèvres et aux parties voisines. Successivement elle se répandit dans tout le corps et elle atteignit bientôt un tel degré d’intensité qu’elle absorba mon existence. Je perdis tout sentiment… Toute la nuit qui suivit, j’eus des rêves pleins de vivacité et de charme, et je m’éveillai, le matin, en proie à une énergie inquiète, à un irrésistible besoin d’agir que j’ai fréquemment éprouvé dans le cours de semblables expériences. »

Le retentissement de ces faits fut considérable, et les chimistes de tous les pays s’empressèrent de répéter les expériences de Davy. Berzélius en Suède, Pfaff et Wurzer en Allemagne, obtinrent des