Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/866

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autorité. Le monde médical se divisa en deux camps : d’un côté, les partisans de la méthode timorée, qui consistait à restreindre l’emploi des anesthésiques jusqu’à obtenir seulement une demi-insensibilité, et les partisans de la méthode hardie, qui continuaient à pousser l’anesthésie à fond. D’année en année, les journaux ajoutaient quelques victimes au nécrologe de l’anesthésie : c’était le prix dont il fallait payer d’inestimables bienfaits.

On recommença donc à chercher et l’on essaya une quantité innombrable de substances, poursuivant sans cesse l’anesthésique idéal qui supprimerait la sensibilité sans menacer la vie. Les plus heureux d’entre ces essais sont ceux que l’on a faits avec le bromure d’éthyle, avec les méthodes combinées, et surtout, le plus récent et le plus parfait, avec le protoxyde d’azote sous pression, imaginé par M. Paul Bert.


II

En perdant, sous l’influence du chloroforme ou de l’éther, la faculté de sentir et celle de se mouvoir, l’être animé a perdu ses attributs caractéristiques. C’est un animal déchu ; ce n’est plus même un animal, c’est un être végétatif réduit à l’obscure vitalité de la plante. On aurait vu là, au temps de Bichat, la confirmation des idées régnantes, et l’on aurait conclu que l’action de l’anesthésique séparait l’une de l’autre les deux vies que l’on accordait aux animaux : la vie de relation qui disparaît, et la vie végétative qui subsiste dans son isolement. Une telle interprétation aurait été inexacte ; et d’ailleurs la physiologie moderne ne saurait se satisfaire à si bon marché. Il faut donc analyser plus profondément le phénomène de l’anesthésie. Le prendre à ses débuts, le suivre pas à pas dans son développement, est le seul moyen de l’expliquer, c’est-à-dire d’en pénétrer le mécanisme.

Une première étape conduit le chloroforme de l’extérieur dans le sang. La pénétration de la substance dans le milieu sanguin est, ici comme toujours, la condition indispensable de toute action ultérieure. La porte d’entrée est dans le poumon. Tous les anesthésiques, en effet, sont volatils ou gazeux ; le gaz ou les vapeurs mêlées à l’air de la respiration pénètrent avec lui dans le sang qui traverse le poumon et sont entraînés dans le torrent circulatoire. Les procédés chimiques permettent à chaque instant de les déceler en nature. Le sang, pourvoyeur universel, va donc puiser la substance anesthésique dans le poumon, véritable comptoir des échanges gazeux, et la convoie telle qu’il l’a reçue jusqu’aux élémens et aux tissus de l’économie. Il n’est aucun de ces élémens organiques qui ne soit, pour ainsi dire, en bordure de quelque canal sanguin,