Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/879

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naissance à la méthode des anesthésies mixtes. Cl. Bernard, à Paris, et M. Nussbaum, à Munich, avaient réalisé, dès l’année 1863, l’association du chloroforme et de la morphine ; mais le procédé ne s’est vulgarisé que beaucoup plus tard. Un médecin de la marine, le docteur Forné, a combiné le chloral et le chloroforme ; le docteur Trélat et le docteur Perrier, en 1879, ont associé le chloral à la morphine et leur mélange au chloroforme. M. Clover, depuis 1868, combine l’action de l’éther et du protoxyde d’azote. Malgré l’intérêt particulier de ces tentatives, nous ne pouvons qu’en signaler l’existence en passant, et nous nous arrêterons à celle qui offre un intérêt général à la fois pour la médecine, la physiologie et peut-être même la psychologie.

Il s’agit du procédé de Cl. Bernard et Nussbaum, de l’association de la morphine et du chloroforme.

La théorie permettait de prévoir quelques-uns des avantages qui devaient résulter de cette combinaison. L’opium engourdit de prime abord le cerveau et un peu plus tardivement la moelle épinière. Le sujet à qui l’on a injecté 15 à 20 milligrammes de morphine sous la peau tombe, au bout d’un quart d’heure, dans un état d’obtusion sensorielle et de somnolence qui le prépare à subir plus facilement les effets du chloroforme. Les premiers flots anesthésiques amenés par l’ondée sanguine dans les centres nerveux les trouvent déjà engourdis, déprimés, hors d’état de réagir à l’agression. Par là sont évités ces phénomènes d’excitation dont la violence est redoutable chez les femmes, chez les enfans et chez les sujets alcooliques soumis à l’anesthésie. L’énergie de telles réactions est, en effet, bien capable de troubler la sérénité du chirurgien le plus calme ; M. Richet, à l’hôpital Saint-Antoine, a vu l’un de ses opérés s’échapper furieux des mains de ses aides, au moment même où il achevait l’amputation de l’avant-bras. Une autre fois, chez un dentiste, un sujet à demi anesthésié s’élance hors du cabinet d’opérations et descend l’escalier à cheval sur la rampe. En fait, l’un des grands avantages de la méthode mixte consiste précisément dans la suppression de la période d’excitation qui précède toujours l’anéantissement fonctionnel. Mais cet anéantissement lui-même, déjà préparé par le narcotique, n’exige plus une quantité aussi forte de chloroforme : il peut arriver par progrès lents et successifs. Nous avons dit les difficultés qu’il y avait ordinairement à s’arrêter à la dose convenable et à faire pénétrer la quantité qui suffit à paralyser les centres cérébraux et médullaires. Or, si l’on dépasse la dose, l’on risque d’atteindre la zone interdite, le bulbe ; si l’on reste en deçà, on risque de provoquer l’excitation des centres nerveux, que l’on veut au contraire paralyser. Le procédé d’administration par inhalation