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lorsque l’auteur met dans leur bouche des plaintes sur les épreuves qu’ils ont eu à surmonter, il n’est aucun lecteur qui ne se dise intérieurement : « J’en connais de plus misérables. »

Le héros de lord Beaconsfield n’a pas seulement contre lui l’instinctive jalousie que ne peut manquer d’exciter un bonheur aussi constant : il a encore un défaut plus grave que d’être heureux. Endymion et Myra sont jumeaux, et leur extrême ressemblance frappe tous les yeux ; mais l’auteur s’est complu à donner à la sœur toutes les qualités viriles, la force de caractère, l’énergie, la décision, l’esprit de suite, le ferme vouloir et l’ambition de parvenir ; le frère est doux, patient, modeste, prudent jusqu’à la timidité. Ce renversement des rôles naturels ne met Myra en relief qu’au détriment d’Endymion, dont la personnalité s’efface devant celle de sa sœur au point de disparaître presque complètement. Indifférente pour son père, plus que froide pour sa mère, Myra n’a qu’une affection au monde, son frère jumeau : c’est pour lui qu’elle veut vivre, elle veut qu’il relève la fortune de la famille, qu’il devienne riche et puissant, c’est là sa préoccupation de tous les instans ; c’est l’unique but de son existence. Elle lance son frère dans le monde, le guide, le stimule, elle lui cherche partout des protecteurs et des appuis ! Endymion se laisse faire ; c’est une cire molle que tout le monde pétrit. Outre cette sœur dévouée, qui est, à elle seule, une puissance, trois femmes charmantes sont sans cesse occupées de lui et ne songent qu’à lui aplanir les voies : c’est Adrienne Neuchâtel, la fille du banquier ; c’est la comtesse de Montfort, dont le salon est le centre d’action du parti whig, le rendez-vous des ministres et des diplomates ; c’est enfin lady Beaumaris, la jeune belle-sœur de Rodney, l’ancienne commensale d’Endymion, dont un caprice de grand seigneur a fait une comtesse, dont une vive intelligence et d’heureux dons naturels ont fait l’Égérie du parti tory. Lorsqu’il s’agit de faire entrer Endymion au parlement, lady Beaumaris, dont le mari dispose d’un collège, sacrifie à l’ami de son enfance les prétentions de son propre père et les intérêts de son parti. C’est ainsi que tout réussit à Endymion, merveilleuse fortune dont je puis savoir gré à l’énergie et à l’activité de Myra, mais dans laquelle l’action personnelle du frère a vraiment trop peu de part. Où est l’initiative digne d’éloge ? où est l’effort méritoire ? Quel intérêt voulez-vous que je prenne à ce bellâtre qui n’a qu’à se laisser adorer, qui n’a qu’à former un vœu pour le voir accomplir, et dont les désirs sont souvent devancés. « Parlez-moi des femmes, dit Sainte-Barbe, pour faire leur chemin dans le monde. Le hasard amène un imbécile à côté d’une jolie femme ; elle lui persuade qu’elle le trouve charmant : l’imbécile l’épouse, et la voilà comtesse. » Personne ne