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accompagnait la lecture des notes était la vie ou la mort. Il n’y avait aucune punition dans la maison ; la lecture des notes et les réflexions du supérieur étaient l’unique sanction qui tenait tout en haleine et en éveil.

Ce régime avait ses inconvéniens, cela est hors de doute. Adoré de ses élèves, M. Dupanloup n’était pas toujours agréable à ses collaborateurs. On m’a dit que plus tard, dans son diocèse, les choses se passèrent de la même manière, qu’il fut toujours plus aimé de ses laïques que de ses prêtres. Il est certain qu’il écrasait tout autour de lui. Mais sa violence même nous attachait ; car nous sentions que nous étions son but unique. Ce qu’il était, c’était un éveilleur incomparable ; pour tirer de chacun de ses élèves le summum de mouture qu’il pouvait donner, personne ne l’égalait. Chacun de ses deux cents élèves existait distinct dans sa pensée ; il était pour chacun d’eux l’excitateur toujours présent, le motif de vivre et de travailler. Il croyait au talent et en faisait la base de la foi. Il répétait souvent que l’homme vaut en proportion de sa faculté d’admirer. Son admiration n’était pas toujours assez éclairée par la science ; mais elle venait d’une grande chaleur d’âme et d’un cœur vraiment possédé de l’amour du beau. Il a été le Villemain de l’école catholique. M. Villemain fut parmi les laïques l’homme qu’il a le plus aimé et le mieux compris. Chaque fois qu’il venait de le voir, il nous racontait la conversation qu’il avait eue avec lui sur le ton de la plus chaleureuse sympathie.

Les défauts de l’éducation qu’il donnait étaient les défauts mêmes de son esprit. Il était trop peu rationnel, trop peu scientifique. On eût dit que ses deux cents élèves étaient destinés à être tous poètes, écrivains, orateurs. Il estimait peu l’instruction sans le talent. Cela se voyait surtout à l’entrée des nicolaïtes à Saint-Sulpice, où le talent n’avait aucune valeur, où la scolastique et l’érudition étaient seules prisées. Quand il s’agissait de faire de la logique et de la philosophie en latin barbare, ces esprits, trop nourris de belles-lettres, étaient réfractaires et se refusaient à une aussi rude nourriture. Aussi les nicolaïtes étaient-ils peu estimés à Saint-Sulpice. On n’y nommait jamais M. Dupanloup ; on le trouvait trop peu théologien. Quand un ancien élève de Saint-Nicolas se hasardait à rappeler cette maison, quelque vieux directeur se trouvait là pour dire : « Oh ! oui, du temps de M. Bourdoise, » montrant clairement qu’il n’admettait pour cette maison d’autre illustration que son passé du XVIIe siècle.

Faibles à quelques égards, ces études de Saint-Nicolas étaient très distinguées, très littéraires. L’éducation cléricale a une supériorité sur l’éducation universitaire, c’est sa liberté en tout ce qui ne touche pas à la religion. La littérature y est livrée à toutes