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superbe, quoique né imperceptible, mais pour espérer que ce soit une jolie fille, il faut attendre qu’elle ait une figure. Jusqu’ici elle en a deux aussi rondes et aussi joufflues l’une que l’autre. Elle a toujours une bonne nourrice dont elle se trouve fort bien.

Le mois prochain vous verrez mon mari, qui retournera avec Hippolyte vendre son cheval. De là nous irons passer un mois à Bordeaux et un mois à Nérac, chez ma belle-mère, et nous serons de retour ici au mois de juillet. Si vous voulez à cette époque tenir votre promesse, et décider Caroline à vous accompagner, nous passerons en famille tant de tems que vous voudrez, car je n’aurai plus d’obligations de toute l’année, et il me faut des obligations pour quitter Nohant, où j’ai pris racine. Nous vous soignerons bien et vous rajeunirons si fort que vous arriverez à Paris fraîche et encore très dangereuse pour beaucoup de têtes.

Adieu, ma chère maman. Casimir, Hippolyte, mes deux enfans et moi vous embrassons tous bien tendrement. Gare à vous ! au milieu d’un pareil conflit, vous aurez du bonheur si vous n’êtes pas étouffée par nos caresses et nos batailles à qui en aura sa part.

Quand vous me répondrez, aurez-vous la bonté de me donner quelques conseils sur la façon d’une robe de foulard fort belle qu’on m’envoye de Calcutta et que je ferai moyennant que vous me direz où en est la mode et la manière dont je dois tailler les manches ? Je crois que maintenant on les fait de droit fil et aussi larges en bas qu’en haut. Mais dirigez-moi, car je suis fort en arrière.


A M. Dutheil, avocat à la Châtre (recommandé à Madame la poste de la Châtre).


Bordeaux, 10 mai 1829.

Hélas ! mon estimable ami, que c’est cruel, que c’est effrayant, que c’est épouvantable, je dirai plus, que c’est sciant de s’éloigner de son endroit et de se voir en si peu de jours transvasée à 120 lieues de sa patrie ! Si cette douleur est cuisante pour tous les cœurs bien nés, elle est telle pour un cœur berrichon particulièrement, qu’il s’en est fallu de peu que je ne fusse noyée dans un torrent de pleurs, répandus par Pierre, Thomas, Colette, Pataud, Marie Guillard et Brave. Torrent auquel j’en joignis un autre de larmes abondantes. Que dis-je, un torrent ! c’était bien une mer tout entière. Après avoir embrassé ces inappréciables serviteurs, les uns après les autres, je m’élançai dans la voiture, soutenue par trois personnes et j’arrivai sans encombre à Châteauroux. Là nous fûmes singulièrement égayés par la conversation piquante et badine de M. Didion,