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faibles, des persécutés, de ceux qui se disent ou qui sont des victimes. Les jurisconsultes de la république américaine ne croient manquer ni à leur parti ni à : leur foi politique en faisant ressortir les difficultés de la tâche qui s’impose aux juges sous une démocratie ! Dans une monarchie, font-ils observer, les sympathies du peuple sont naturellement en éveil contre la tyrannie et elles cherchent à arracher des victimes aux vengeances du maître. C’est la lutte d’un seul contre tous. Dans les gouvernement où la majorité qui obtient le pouvoir passe pour représenter la volonté du peuple, la persécution, surtout lorsqu’elle est politique, devient la cause de tous contre un seul. C’est de toutes les persécutions la plus violente, la plus infatigable, parce qu’elle semble à ses auteurs la seule manière d’atteindre au pouvoir ou de le conserver. L’arbitraire, au lieu d’être personnifié en un seul, est l’arme dont se servent tous ceux qui oppriment au nom du peuple, et tandis qu’on rougirait de servir les caprices d’un maître, on se fait gloire de servir des passions qu’on croit ennoblir en les nommant la volonté du peuple. Sous une démocratie, continuent les Américains, le despotisme peut donc être plus lourd ; il prend plus aisément le masque du bien public, et le despote, unique en une monarchie absolue, devient un corps à mille têtes plus redoutable pour la sécurité des citoyens. C’est dans un tel gouvernement, alors que le peuple est souverain, qu’il faut ménager au juge la plus solide indépendance : les Américains l’ont pensé. Ils savaient que, dans une république, rien n’était plus facile pour des démagogues que de dresser des intrigues contre l’exercice régulier de l’autorité, et que leurs desseins ne pouvaient être déjoués que par la fermeté des magistrats. Ils n’ignoraient pas que les démagogues seraient nécessairement hostiles au pouvoir qui les tient en échec et à l’impartialité qui les condamne. Ils ont compris que la magistrature ne demeurerait pas longtemps à demi organisée en présence du tourbillon des forces démocratiques, qu’il fallait en faire le premier pouvoir de l’état ou la laisser se courber jusqu’à ce qu’elle devînt le jouet des caprices populaires. Ils n’ont pas hésité et des deux justices qui se partagent les États-Unis, l’une a été livrée en pâture aux appétits de la multitude, tandis que l’autre, sauvée par la constitution, sert de recours au droit violé.

Ainsi il semble que dans cette société singulière où déborde la vie, où tous les élémens des passions sociales se rencontrent et fermentent, les opinions qui se partagent les partis de l’ancien monde au point de vue de l’organisation judiciaire aient été laissées libres de faire l’expérience de leurs forces. L’arbitrage et l’élection, idées connexes qu’ont poursuivies parmi nous les radicaux depuis le commencement de la révolution, ont éternises en pratique dans