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parce qu’il en retrouve soit les lignes générales, soit tel trait particulier dans sa plus lointaine histoire. Aussi l’esprit centralisateur qui s’agite dans la confédération, comme en toute l’Europe, n’a-t-il pas encore osé s’attaquer à la justice cantonale. Il l’a laissée intacte, en se bornant à instituer un tribunal fédéral pour les affaires politiques et pour les procès intéressant divers cantons dont aucun ne pourrait être juge en sa propre cause.

Nous ne pouvons ici parler séparément du système suivi dans les vingt-deux cantons. Il faut nous contenter d’indiquer les traits généraux. A première vue l’organisation judiciaire de la Suisse a une certaine analogie avec la nôtre : au centre du canton, un tribunal de cassation, puis une juridiction d’appel, plusieurs tribunaux de première instance parsemés dans les petites villes, enfin au-dessous, répandus dans les bourgades rurales, des juges de paix ; tous ces noms répondent à nos idées françaises. Il est vrai que ces juridictions sont resserrées dans des limites territoriales dont nous n’avons pas d’exemple : un tribunal de cassation pour un canton de 100,000 âmes, un tribunal de première instance pour 7 à 10,000 habitans, un juge de paix pour 1,200, choquent nos habitudes.

La démocratie suisse ne s’accommode pas seulement de ce régime : elle y tient fortement. Elle y voit la conservation d’anciennes coutumes auxquelles les plus humbles sont attachés, et surtout l’application de ce système de morcellement qui rapproche chaque habitant du pouvoir, le fait participer aux affaires publiques, l’associe à la justice, d’aussi près que dans nos campagnes il est associé à l’administration municipale et l’élève jusqu’aux intérêts généraux en lui donnant souvent la charge des intérêts particuliers.

Au premier degré de l’échelle judiciaire se trouve le juge de paix, dont le rôle diffère suivant les cantons ; tantôt juge comme en France, tantôt n’ayant aucune attribution judiciaire, et chargé seulement d’éteindre les querelles. Alors il change de nom et, sous le titre de conciliateur, il en remplit la mission officieuse, sans qu’elle l’empêche d’exercer une fonction judiciaire plus élevée : souvent le conciliateur dans sa commune est juge de première instance dans son district.

Dans une nation où un canton est un état indépendant, il est naturel que les moindres agglomérations tiennent à jouer un rôle : chaque village veut posséder sa justice de paix, chaque bourg son tribunal en plein exercice. Genève et Bâle sont les seules villes qui par leur importance aient absorbé tout le canton. On sait le mot de Voltaire disant que, lorsqu’il secouait sa perruque, il poudrait toute la république. Il est aisé de comprendre que plusieurs