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En Suisse qui parle de l’indépendance judiciaire veut parler de l’impartialité des juges, non de leur liberté de s’affranchir entièrement des sentimens du peuple. Quand les magistrats se font exclusivement les serviteurs, de la loi contre le peuple, on change la loi. Genève en a donné un frappant exemple : on y avait établi le juge unique. Il y a quelque années, on se mit à redouter son pouvoir : lorsqu’on chercha un contrôle, le peuple ne tourna pas les yeux vers le jury, mais vers les assesseurs, sortes de jurés permanens remplissant pendant un temps limité les fonctions de juges, sans être plus capables ni beaucoup plus responsables que des jurés, ayant par rapport à eux cette infériorité de demeurer immobiles en une place où ils risquent de représenter bien plus les passions politiques qui les ont choisis que le fonds commun du bon sens public. Quand le juré devient permanent, c’est signe qu’il perd son indépendance. Or un assesseur n’est qu’un juré permanent : il n’a pas le titre de juge et il en exerce les fonctions ; il n’a fait aucune étude spéciale, il n’a pas de responsabilité, il est le délégué du peuple auprès de l’homme instruit qui juge. Par la nature même de sa mission, il est condamné soit à opprimer la justice, soit à être annulé par le magistrat. On dit qu’à Genève le juge, dont les assesseurs devaient corriger la rigueur, a triomphé de leur influence, qu’habitué aux formes de la procédure comme aux règles de la loi, il n’a pas eu de peine jusqu’ici à faire prévaloir son opinion. Les assesseurs en.s’effaçant ont donc bien mérité de la justice ; mais n’est-il pas à craindre qu’ils sortent de leur abstention le jour où les passions de la place publique auront intérêt à étouffer le droit ?

A côté des tribunaux de district ou de première instance, il existe dans certaines parties de la Suisse des juridictions spéciales nées d’un intérêt particulier ou issues d’une antique tradition. Tels sont à Bâle le tribunal des orphelins, le tribunal des constructions ; à Neuchâtel, les tribunaux d’arbitrage industriel ; dans d’autres cantons, les tribunaux de commerce, les cours réservées aux causes matrimoniales, aux affaires de tutelle. — Ces institutions, parallèles aux tribunaux de première instance, n’altèrent en rien l’unité de l’organisation. Lorsque l’appel est ouvert, tous les recours sont portés devant le tribunal supérieur, qui est le même pour tous les justiciables.

Suivant les cantons, le tribunal d’appel porte des noms différens : cour suprême à Berne ; cour d’appel et de cassation à Neuchâtel ; cour de justice civile et criminelle à Genève ; tribunal d’appel à Bâle ; c’est en réalité et partout une seule et même institution, à laquelle les Vaudois ont donné sa véritable dénomination en le nommant simplement tribunal cantonal. Chargé d’exercer une surveillance constante sur l’administration de la justice, de vider en