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compétence et qui embrasse, par conséquent, dans son domaine exclusif, l’ensemble du droit fédéral.

Le tribunal fédéral siège à Lausanne. On a voulu qu’il délibérât loin de Berne, où se tiennent les chambres et où s’agitent les influences politiques. Il est composé de neuf juges et de neuf suppléans, élus par les deux chambres réunies en assemblée fédérale. La durée des fonctions est de six années. Il vient d’achever la première période de son existence, et cette expérience, d’un avis unanime, lui a été favorable. Sa jurisprudence a été sage et ferme : elle a éclairé certaines parties du droit public, et le pouvoir exécutif est demeuré indépendant dans son action, sans que, pour atteindre ce résultat, nul ait pensé à paralyser la justice ou à la dessaisir. Les Suisses sont satisfaits de leur cour suprême. Les partisans les plus déterminés du canton, qui ont si longtemps retardé la formation de ce tribunal, n’élèvent pas de critiques, et si les choix de l’assemblée fédérale continuent à se porter sur des jurisconsultes entourés du respect de tous, s’ils ne se détournent pas pour satisfaire des intérêts de parti vers des hommes engagés dans les luttes politiques, le tribunal fédéral aura franchi victorieusement l’un des écueils les plus redoutables que rencontre son institution. Toutefois il ne faut pas se le dissimuler : l’élection par la législature et plus encore la courte durée des fonctions en demeureront les vices originels. Il est à craindre que, dans l’avenir, la perspective de l’expiration des pouvoirs n’affaiblisse, aux approches du terme, l’indépendance des juges, que de grandes causes tenant en suspens l’opinion publique ne soient volontairement ajournées par une sorte de déni de justice pour ménager les membres de l’assemblée fédérale et obtenir leurs voix. Ce sont là, à coup sûr, des hypothèses ; mais la forme de l’élection autorise ces craintes, et elles deviendront d’inévitables réalités quand cette juridiction sera composée d’hommes moins fermes[1]. Tel qu’il fonctionne depuis six ans, le tribunal fédéral marque un progrès dans le développement constitutionnel de la Suisse et donne un organe à la justice définitive, qui est le but de toute société et l’impérieux besoin d’une démocratie.

Le mode de nomination des juges, est, on le sait, le problème le plus ardu qui s’impose aux peuples libres. Il est toutefois un premier principe sur lequel nul n’élève de contestations. L’indépendance des hommes qui sont investis de la mission de juger est la qualité éminente que cherche à obtenir toute société réglée. Toutes les nations poursuivent à la fois la solution de ce problème : les unes

  1. Le 7 décembre 1880, tous les membres du tribunal fédéral viennent d’être réélus. Cet hommage à des magistrats éminens fait le plus grand honneur aux corps politiques.