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sont encore choisis par les électeurs locaux ; mais les autres juridictions émanent du grand conseil et sont instituées pour trois ans. A Genève et à Bâle, les magistrats de tous ordres sont élus par l’assemblée politique.

Dans le canton de Vaud, l’organisation est plus compliquée : elle mérite quelques détails. Le tribunal cantonal a de tout temps été choisi par le grand conseil. Autrefois le pouvoir exécutif, issu de l’assemblée législative et portant le nom de conseil d’état, se réunissait au tribunal supérieur et de leur délibération commune sortait le choix des magistrats du canton. Ce mode de nomination, qui est encore en vigueur à Fribourg, souleva des critiques : les riches campagnards, dont l’influence dominait dans le grand conseil, formant à la fois le conseil d’état et le tribunal cantonal, étaient maîtres du pouvoir judiciaire. Il se fit un mouvement d’opinion : l’opposition promit au corps électoral de lui donner l’élection des magistrats. Lorsqu’elle eut triomphé, grand fut l’embarras, nul ne songeait à établir l’élection directe comme à Berne ou à Lucerne ; on s’arrêta à un système mixte, en donnant au peuple la formation de listes de capacités judiciaires dressées par communes, à raison d’un élu pour cent âmes d’habitans. Sur ces listes fort longues, ce n’est pas le grand conseil, mais le tribunal cantonal qui choisit, dès qu’il est institué, les membres des tribunaux et les juges de paix. Les candidats qui ne sont pas pourvus d’une charge forment la liste annuelle du jury. De la sorte, l’action du pouvoir politique ne s’exerce, que sur le choix du tribunal supérieur, et le peuple prend part à la nomination, moins par une désignation directe que par l’exclusion des candidats qui n’ont pas sa confiance. D’ailleurs des précautions ont été prises pour prévenir l’intolérance de la majorité : chaque électeur ne peut inscrire sur son bulletin que la moitié des candidats que sa commune doit nommer ; grâce à ce système, dont l’es politiques sourient en le traitant d’ingénieux, la minorité est toujours représentée sur la liste[1]. Nous n’avons pas ouï dire qu’une omission injuste ou passionnée ait été signalée depuis treize ans.

Ainsi, dans les cantons de la Suisse, le peuple désigne ses magistrats, soit directement dans une assemblée générale, soit par voie d’élection au premier degré, soit encore par les députés qu’il nomme, ou enfin en excluant ceux qu’il ne veut pas pour juges.

La première objection qui vienne à l’esprit d’un Français en étudiant cette organisation, c’est la confusion qui semble inévitable entre la justice et les passions politiques. Des trois pouvoirs qui

  1. Pour être nommé, un candidat doit avoir obtenu le quart des voix exprimées. Celui qui ne réunit pas ce chiffre est si évidemment impopulaire que nul ne peut regretter qu’il ne soit pas magistrat.