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Malgré ces symptômes contradictoires, malgré ces injustices du scrutin qui ne sont que de rares mais significatives exceptions, les Suisses assurent que, du suffrage populaire émane, dans la plupart des cantons, un corps d’hommes remplissant suffisamment leur tâche, quelques-uns d’une valeur réelle, le plus grand nombre d’un niveau médiocre, mais échappant partout à la corruption. Aussi la réélection des jugés, lorsqu’est expiré leur mandat, est-elle entrée dans les mœurs de la Suisse : à Zurich, à Berne et à Lucerne, on assure qu’il faudrait un démérite flagrant pour qu’un juge ne fût pas maintenu en charge.

Dans les cantons où le grand conseil fait les choix, nous avons trouvé les jugemens les plus contraires sur la valeur des hommes ; mais il paraît certain que le jeu des partis dans l’assemblée politique, plus vif en un champ plus étroit, exerce une influence trop grande sur le choix des juges. On cite, il est vrai, quelques traits de la sagesse des grands conseils : à Zurich, après l’évolution démocratique de 1869, les radicaux n’ont pas songé un instant à priver les libéraux de la moitié des sièges qu’ils occupaient de longue date dans le tribunal cantonal. A Bâle, un président, appartenant au parti conservateur, était mort récemment après trente-quatre années de fonctions durant lesquelles la majorité du grand conseil était radicale. A Lausanne, les radicaux disposaient d’une majorité formidable : ils avaient, l’année précédente, composé le conseil d’état à leur gré ; ils se proposaient de renouveler entièrement le tribunal cantonal, lorsqu’au jour du scrutin une opinion moyenne, dont ils ne soupçonnaient pas la puissance, a maintenu en charge les magistrats conservateurs. Mais quoi qu’en puissent dire les plus satisfaits, ces exemples sont rares : le soin avec lequel on les cite révèle une exception. Trop souvent les tribunaux reçoivent, comme en un asile, les candidats malheureux du parti vainqueur.

Dans plusieurs cantons, les magistrats peuvent être députés, et le cumul achève de mêler la politique et la justice. Il y a des cantons où plus de la moitié des présidens de districts siège au grand conseil. Les esprits sages déplorent une telle confusion ; mais elle se retrouve à tous les degrés : en certains districts, il n’y a presque pas de juges qui ne soient maires de leur commune ; la loi n’interdit aux maires que les fonctions de président. Ce rapprochement d’attributions ne choque pas les Suisses : il faut trouver la raison de ce fait dans leur histoire, où le pouvoir municipal et le pouvoir judiciaire ont toujours été si intimement mêlés.

Il n’y a pas une juridiction, quelqu’élevée qu’elle soit, qui échappe en Suisse à ce contact de la politique. Le tribunal fédéral, dont les juristes louent la jurisprudence et dont la confédération apprécie la sagesse, n’évite pas cet écueil : issu du vote des deux chambres