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s’être plu à aggraver plutôt qu’à dissiper la confusion des pouvoirs. Quand, de son côté, la jurisprudence administrative affirme comme une règle absolue que les tribunaux ne peuvent en aucun cas déclarer l’état débiteur ; quand on dessaisit la justice ordinaire en élevant un conflit, parce que le demandeur en dommages-intérêts, victime d’un accident, a été renversé par la voiture d’une administration publique ou parce que le préjudice a été causé par un entrepreneur adjudicataire de l’état, il faut avouer que les juges administratifs sont parvenus à étendre démesurément leur domaine au détriment de la justice chargée d’appliquer le droit. À cette extension abusive, tous ont contribué, la cour de cassation aussi bien que le conseil d’état. La juridiction administrative avait pour elle deux attraits puissans : une procédure simple, peu coûteuse, aisée à comprendre et plaisant aux parties, puis l’esprit même du conseil d’état qui, en mettant à part les affaires politiques, s’est montré de tout temps libéral, d’un accès facile, tempérant le droit strict par des mesures d’équité, mêlant avec habileté, ce que ses défenseurs n’ont jamais manqué de faire valoir, le rôle gracieux de l’administrateur à la sévère mission du juge.

Aussi les partisans des juridictions administratives ont-ils eu beau jeu quand ils ont eu à se défendre contre la proposition de transférer aux tribunaux de droit commun toute la compétence des conseils de préfecture et de la section du contentieux. — « Vous allez confondre, s’écriaient-ils, l’administration et la justice, placer en tutelle le pouvoir exécutif, soumettre les préfets aux caprices des tribunaux d’arrondissement. Ce n’est pas seulement la perte de l’administration : ce sera le signal des plaintes les plus vives des administrés ; les recours sont ouverts en matière gracieuse comme en matière contentieuse. Cette dernière compétence passera seule à la justice ordinaire, qui ne peut, en aucun cas, se mêler d’administrer. Qui se chargera désormais de tempérer les sévérités des préfets ? En soumettant au droit toutes ces questions, vous aurez anéanti la jurisprudence d’équité. »

Toutes ces doléances étaient graves et de nature à faire abandonner des projets qui auraient soumis l’administration à la justice ordinaire. Et néanmoins la juridiction administrative, sous sa forme actuelle, offrait-elle des garanties suffisantes ? nos conseils de préfecture sous la main des préfets, le conseil d’état sous la main des ministres, constituaient-ils des institutions assez indépendantes pour inspirer confiance lorsque le droit privé était aux prises avec un intérêt politique ? était-il possible de ne pas songer que des