Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exceptés de l’universelle proscription, qu’ils ont tous enfin unanimement loués ? J’ai nommé Fénelon et Massillon. Je laisse à d’autres le soin de démêler ce qu’il y avait d’affinités secrètes entre les philosophes et l’archevêque de Cambrai : c’est la raison des sympathies si vives d’un Voltaire, ou d’un d’Alembert même, pour Massillon que je voudrais uniquement rechercher, et dans l’œuvre elle-même de Massillon.

Quelques bons ouvrages, parus depuis une quinzaine d’années, et qui nous seront chemin faisant du plus utile secours, ne répondent pas assez nettement à la question. Elle vaut pourtant, on va le voir, la peine d’être examinée.


I. — DE LA RHETORIQUE DE MASSILLON.

J’ouvre au hasard le recueil des Sermons et je rencontre d’abord ce simple et majestueux exorde : « Vous nous demandez tous les jours, mes frères, s’il est vrai que le chemin du ciel soit si difficile, et si le nombre de ceux qui se sauvent est aussi petit que nous le disons. À cette question, si souvent proposée et encore plus souvent éclaircie, Jésus-Christ vous répond aujourd’hui qu’il y avait beaucoup de veuves en Israël affligées de la famine et que la seule veuve de Sarepta mérita d’être secourue par le prophète Elie, que le nombre des lépreux était grand en Israël du temps du prophète Elisée et que cependant Naaman tout seul fut guéri par l’homme de Dieu[1]. » Quelle heureuse, élégante, et saisissante application de l’Écriture ! Quel nombre, quelle sonorité d’élocution, et puisque la prose, aussi bien que le vers, a sa cadence, quelle beauté de rythme ! D’autres, et Massillon lui-même, peuvent avoir des exordes plus impétueux, ou, comme on dit, plus abrupts : en connaissez-vous beaucoup qui soient d’une séduction plus noble ?

Lisons un autre de ces débuts, — et d’un genre tout différent : « Omnia opera sua faciunt ut videantur ab hominibus. Ce n’est pas la fausse piété et l’attention à s’attirer les regards publics dans la pratique des œuvres saintes qui me parait recueil le plus à craindre pour le commun des fidèles. Le vice des pharisiens peut trouver encore des imitateurs, mais ce n’est pas le vice du plus grand nombre. Le respect humain qui fait que nous servons Dieu pour mériter l’estime des hommes est bien plus rare que celui qui nous empêche de le servir de peur de la perdre. La tentation la plus ordinaire n’est pas de se glorifier d’une fausse vertu, c’est de

  1. Sur le petit nombre des élus.