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Transportez-vous par la pensée dans la chapelle royale. Du haut de cette même chaire d’où Bossuet, nourri de la substance de l’Écriture et des pères, a prêché jadis l’incompréhensibilité des mystères du christianisme avec une souveraine hardiesse, sans nulle crainte ni d’étonner, ni de fatiguer, ni d’humilier trop bas son aristocratique auditoire ; — d’où Bourdaloue, pendant trente ans, et hier encore, s’il prêchait la morale plus volontiers que le dogme, la prêchait du moins dogmatiquement, n’avançant rien qu’il ne prouvât, et ne prouvant rien que sur l’autorité de la tradition et des pères, dont il manie les textes en maître ; — voici maintenant que l’on entend descendre les leçons d’une morale, toujours chrétienne, assurément, toujours évangélique, si l’on veut, mais cependant, par son indépendance du dogme, déjà presque philosophique. Quelques ressouvenirs de la Bible, tramés avec une merveilleuse adresse dans le tissu du style, quelques citations heureuses, mais clair-semées, de l’Évangile, d’ailleurs presque pas une mention des pères ; toutes les difficultés du dogme habilement dissimulées ; toutes les circonstances des mystères ingénieusement « ramenées à l’édification des mœurs ; » les « preuves de sentiment » invoquées par-dessus les « raisons de doctrine, » et le Dieu des chrétiens devenu « l’Auteur de la Nature, » que voulez-vous bien qu’il y ait là qui. puisse effaroucher nos ombrageux philosophes du XVIIIe siècle ? Posez le dogme, vous entreprenez sur leur sens individuel, et ils se révoltent ; mais ôtez le dogme, que reste-t-il dans les prescriptions de la morale, réduite par cela seul à la généralité de l’amour du prochain et du respect de Dieu, qui puisse répugner à l’esprit même le plus jaloux de sa liberté de penser ? Mettez donc à part quelques garçons athées de l’Encyclopédie, de l’espèce du baron d’Holbach, ou de M. Naigeon, par exemple : ni Voltaire, ni d’Membert n’ont de raison de nier un « Dieu rémunérateur et vengeur, » comme dit l’un, ou, comme dit l’autre, « un Être suprême placé entre les rois oppresseurs et les peuples opprimés[1]. » Ils s’en serviraient au besoin, ne sachant guère d’instrument de règne plus utile sur les peuples, ni surtout de plus salutaire épouvantail pour la conscience des rois. Ce que d’ailleurs ils sentent admirablement, c’est qu’à mesure que l’élégant prédicateur abandonne le terrain du dogme, il vient vers eux. Hier encore, c’était un ennemi qu’il fallait combattre ; aujourd’hui c’est un neutre déjà qu’il faut circonvenir ; ce sera demain un allié qu’il faudra recruter : « Bavards prédicateurs, extravagans controversistes, tâchez de vous souvenir que votre maître n’a jamais annoncé que le sacrement était le signe

  1. D’Alembert, Éloge de Massillon.