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ou elle s’égare, ou elle succombe. » Remarquez comme il s’abstient de provoquer l’incrédule à la solution d’aucune difficulté particulière ! C’est qu’il sait bien, que toute la force de sa preuve est ailleurs que dans l’impuissance actuelle où sont les hommes d’un siècle de décider une question pendante. Elle est uniquement dans cette constatation qu’il y a des bornes à la raison des hommes, et que, si ces bornes reculent à mesure de l’avancement de la science, il est certain qu’elles, ne cesseront jamais d’être. Il faut vivre pourtant, et c’est du principe même de la conduite qu’il s’agit : « Il faut donc nécessairement en croire quelqu’un. » Massillon reprend cette argumentation, mais comment la reprend-il ? « Levez les yeux, ô homme ! considérez ces grands corps de lumière qui sont suspendus sur votre tête et qui nagent, pour ainsi dire, dans les espaces où votre raison se confond… Comprenez, si vous le pouvez, leur nature, leur usage, leurs propriétés, leurs situations, leurs distances, leurs apparitions, l’égalité ou l’inégalité de leurs mouvemens… » Et plus loin : « Descendez sur la terre, et dites-nous, si vous le savez, qui tient les vents dans les lieux où ils sont enfermés… Expliquez-nous les effets surprenans des plantes, des métaux, des élémens… Démêlez, si vous le pouvez, l’artifice infini qui entre dans la formation des insectes qui rampent à nos yeux. » A quoi bon poursuivre ? Mais comment voulez-vous que nos philosophes n’estiment pas ce prédicateur pardessus, tous les autres ? Car enfin, n’est-ce pas plaisir pour eux que de le voir avec cette maladresse naïve mettre la vérité de sa religion à la merci d’une découverte astronomique, ou d’une conjecture de la météorologie ? Eh ! que leur répondra-t-il s’ils lui expliquent un jour « l’artifice infini qui entre dans la formation des insectes ? » ou « l’inégalité des mouvemens des planètes ? » de quel côté se tournera-t-il ? et sur quel nouveau problème repliera-t-il ses argumens ?

Sa faiblesse ici, comme ailleurs, c’est d’abonder dans son sens individuel et de prêcher, à vrai dire, dans le voisinage de’ la tradition et du dogme. Il peut être touchant, il n’est pas instructif ; ses sermons sont « de beaux raisonnemens sur la religion » dans lesquels on a vu qu’il entrait beaucoup de rhétorique. Ils ne sont pas « ; la religion même[1]. » Et c’est justement pourquoi sa morale, si souvent, à mesure qu’elle rétrécit la part du dogme « dilate, comme on dit, les voies du ciel[2]. » Il ne sert à rien, là contre, d’apporter des exemples de rudesse, de rigorisme et de sévérité. Les philosophes du XVIIIe siècle ne s’y sont pas trompés. Ils ont

  1. Fénelon, Dialogues sur l’éloquence.
  2. Expressions de Bossuet.