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d’Alvarado et jusqu’à Carmen, toute la côte allait devenir excessivement dangereuse, parce que les coups de vent, au lieu de permettre de prendre le large comme au nord de Vera-Cruz, battent en côte et que les bâtimens à grande puissance de machine peuvent seuls avoir quelque chance de se mettre hors de danger. Or, à l’exception peut-être du Magellan et du Darien, la division ne comptait aucun de ces bâtimens-là. Les canonnières, au nombre de quatre ou cinq, pouvaient bien, quand la mer était belle, passer certaines barres de rivières, mais, avec grand vent et la mer creusant, elles couraient le risque d’y être culbutées. Le Goazoacolcos et le Tabasco n’eussent donc pas pu servir de refuge à ces petits navires. D’ailleurs les barres changent fréquemment et il faut absolument un piloté de la localité. Or tous les pilotes étaient avec les libéraux et ne seraient pas venus à notre appel. Comme compensation, depuis Carmen jusqu’à la pointe nord de la péninsule de Yucatam, les bâtimens peuvent recevoir des coups de vent à l’ancre sans être obligés de prendre le large et sans courir le moindre danger. Il est vrai que, relativement, la présence de nos navires n’était pas nécessaire sur cette partie de la côte.

Si la division navale du golfe était jusqu’à un certain point insuffisante par le nombre et le peu de qualités de ses bâtimens, l’esprit de ses états-majors et de ses équipages était, en revanche, fortement trempé. La plupart étaient depuis un an au Mexique et avaient supporté les périls du climat, les fatigues des diverses expéditions. Ces expéditions, dont personne n’entrevoyait le terme, avaient un attrait d’ambition pour tous et surtout pour les jeunes capitaines de canonnières qui, ayant sur presque tous les points à pénétrer dans les rivières, s’y trouvaient plus activement engagés. Le commandant de la division, le capitaine de vaisseau Cloué, à qui l’on avait dû, au mois de janvier précédent, la capitulation de Campêche et par suite la prompte adhésion du Yucatan à l’empire, avait donc des officiers dignes de lui et tout à fait à la hauteur des circonstances.

Il faut le dire aussi, bien que la situation générale fût, comme nous venons de le voir, mélangée de bien et de mal, l’espérance d’une heureuse issue aux affaires du Mexique était assez répandue. Le maréchal Bazaine, alors commandant en chef des forces françaises, avait le projet d’entreprendre prochainement une expédition contre le Oajaca et d’en finir avec cette province, où l’ennemi semblait vouloir concentrer ses derniers moyens de résistance. Cette opération, dans les intentions du maréchal, devait se compléter par une attaque de la marine sur Tabasco. Les dissidens, ainsi pris entre deux feux, seraient forcés de se disperser. Ce serait là, disait-on, le couronnement de la campagne du Mexique. En effet, cette