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gouvernement de Juarez avait cessé d’exister et que les navires capturés seraient considérés comme pirates et traités comme tels. Le maréchal Bazaine prenait la chose plus au sérieux et, devançant les événemens, il voyait poindre dans ces préparatifs hostiles une intervention armée de la part des Américains. Cette idée le domina bientôt à un tel point qu’il songea à fortifier le fort Saint-Jean-d’Ulloa et l’îlot de Sacrificios et à mettre nos paquebots à l’abri de toute attaque en embarquant à bord des compagnies armées.

Pour le moment et en face de corsaires qu’on n’avait point encore vus, ces précautions étaient prématurées. Cet armement de corsaires n’était et ne pouvait être qu’une spéculation commerciale. Sous le masque de corsaires mexicains, les Américains allaient se faire écumeurs de mer et tâcher de ramasser le plus d’argent possible. Ils pourraient dans ce dessein donner la chasse à nos navires de commerce et à nos paquebots, mais non s’attaquer à Vera-Cruz ou à Sacrificios, parce qu’ils savaient que cela ne pouvait leur rapporter que des coups. D’ailleurs, tel qu’il était, le fort de Saint-Jean-d’Ulloa possédait plus de canons qu’il n’en fallait pour tenir à distance une force navale plus importante même que deux ou trois corsaires. L’embarquement de compagnies sur les paquebots ne pouvait être très utile. Tout corsaire, en effet, qui eût attaqué le paquebot et se fût aperçu qu’il y avait une force à bord se fût contenté de le couler en le canonnant avec une forte pièce à pivot et en se tenant hors de portée des fusils ou des canons de calibre inférieur que des bâtimens de faible échantillon tels que les paquebots peuvent avoir à bord. Dans ce cas, après une canonnade d’une certaine durée, la compagnie de garnison eût été dans l’alternative de se rendre prisonnière ou d’être coulée. Certes, en la supposant réelle, l’existence de ces corsaires était un fait fort grave ; mais il y avait lieu d’en douter, car depuis deux ans cette entreprise avait plus de chances d’impunité qu’à cette heure où les bâtimens devaient être déclarés pirates, et cependant elle n’avait pas été tentée. Il n’y avait donc qu’à envoyer des navires chercher des renseignemens positifs et croiser à certains points d’arrivée des paquebots dans le golfe du Mexique.

C’était là néanmoins un souci, tant à cause du nombre restreint de bâtimens que de la difficulté de la navigation dans cette saison de coups de vent de nord. Vera-Cruz exigeait la présence du Magellan, le Darien était à Matamoros mouillé en pleine côte, la Pique, dans la rivière de Tuspan, le Forfait en dehors de la barre ou à l’abri de l’écueil de Tanguijo à veiller sur la Pique, le Colbert devant Tampico, le Brandon à Campêche, la Tourmente à Carmen et la Tempête et la Sainte-Barbe à Alvarado. Ces bâtimens,