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vraiment supporter la présence d’un crucifix dans une école. Ce sont des intelligences superbes qui n’aiment pas les crédulités et les superstitions ! Ils ont fini par troubler toutes les idées, par dénaturer les plus simples notions et par hébéter les esprits avec ce mot de cléricalisme. Qu’on soit tenté de défendre un droit, une liberté, une garantie, l’inviolabilité du domicile, on risque fort, si on est susceptible de se laisser intimider, de passer pour clérical. Les hommes les plus éprouvés, M. Dufaure, M. Jules Simon, M. Littré, M. Laboulaye, M. Bérenger, ne sont plus manifestement que des cléricaux depuis qu’ils ont combattu l’article 7 et les exécutions sommaires des ordres religieux. Lorsque, l’autre jour, M. Bardoux, M. Beaussire, M. Ribot, demandaient à la chambre des députés de maintenir, au moins à titre facultatif, l’enseignement religieux dans les écoles primaires, ils étoient visiblement des cléricaux. Dès qu’on croit que nous vivons encore dans une civilisation chrétienne, que la révolution française elle-même, dans ses développemens les plus légitimes, n’a fait que continuer le christianisme, on est un clérical. Les républicains, qui ont découvert cette nouvelle manière de tout juger et de conduire les affaires morales d’un grand pays, ne s’aperçoivent pas qu’en satisfaisant leurs passions ils ne violentent pas seulement les consciences religieuses, ils rompent avec toutes les traditions libérales, par cette raison très simple que le jour où l’esprit de secte, sous quelque forme qu’il se produise, pénètre dans la politique, la liberté en sort. Il n’y a plus que des fanatismes opposés, se disputant la domination sans reculer devant les abus de pouvoir et les excès d’arbitraire.

Assurément, si l’on veut, il pouvait y avoir quelque chose à faire, et on n’aurait pas été absolument surpris que la république se montrât un peu plus attentive ou un peu plus jalouse que d’autres gouvernemens. Que dans la situation, telle qu’elle existe, telle qu’elle résulte d’un long passé, on pût être conduit à faire sentir le frein à des influences trop envahissantes, c’est possible. Si l’on croyait utile de limiter le développement des congrégations religieuses, de sauvegarder l’indépendance de la société civile, de fortifier et d’étendre l’enseignement de l’état, de surveiller les écoles, de maintenir la distinction entre la politique et la religion, de faire respecter les institutions, on le pouvait, on pouvait même appliquer ces mesures fiscales qui ont été introduites assez capricieusement dans le budget, qui ont failli provoquer un conflit entre le sénat et la chambre des députés. Tout cela était à examiner avec calme, avec maturité, sans passion hostile, et, qu’on l’observe bien, sur la plupart des points, les lois ordinaires suffisaient, Évidemment l’idée de maintenir la société civile, l’état, la république dans leurs droits n’avait rien d’illégitime ; mais ce n’était pas une raison pour que, retournant en quelque sorte le despotisme et l’exerçant en sens inverse, on fît ce qu’on avait si sauvent reproché aux autres de