Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entreprise assez médiocrement conçue, dans une campagne condamnée d’avance à n’être qu’un acte de vaine ostentation. L’œuvre de Berlin devait être respectée et exécutée dans l’intérêt du Monténégro, soit. Le traité de Berlin n’obligeait aucunement à envoyer des vaisseaux qui avaient pour instruction de ne point agir, et dont la présence néanmoins pouvait allumer l’incendie sur les côtes.

Tout est bien qui finit bien ; la démonstration tentée dans les eaux de l’Adriatique n’a pas mal tourné, c’est ce qu’on peut dire de mieux. Les Turcs, tout en protestant contre la pression à laquelle on prétendait les soumettre, ont fort heureusement senti la nécessité de ne pas prolonger cette pénible crise, de ne pas reculer plus longtemps devant l’exécution d’un engagement qu’ils n’avaient jamais d’ailleurs sérieusement contesté. Ils ont su, quand ils l’ont voulu, trouver le moyen de vaincre les résistances des bandes albanaises qui paraissaient être le principal obstacle et se mettre en mesure de livrer régulièrement au Monténégro le petit port tant disputé. Les derniers actes officiels de la cession ont été récemment échangés. Les Turcs ont tenu en tout cela à sauvegarder leur dignité, on ne peut guère leur en vouloir ; la diplomatie, de son côté, tient à représenter la remise de Dulcigno comme la meilleure preuve de l’efficacité de la démonstration navale. Dans tous les cas, le résultat est acquis désormais, toute difficulté en ce qui concerne le Monténégro semble avoir disparu ; de ce côté, le traité de Berlin a reçu son exécution. À peine cependant est-on sorti de cette complication de Dulcigno qu’on se trouve en présence d’une question bien autrement épineuse, celle des frontières grecques, et ici, il faut bien le dire, tout devient assez grave. L’Europe, par la manière dont elle a conduit les choses, ne laisse pas d’avoir assumé une certaine responsabilité dont elle se sent peut-être embarrassée aujourd’hui, puisqu’elle cherche dans une proposition d’arbitrage un moyen de se tirer d’affaire.

Comment s’est-elle engagée, cette question grecque et comment a-t-elle pris un caractère tel qu’elle devient peut-être un danger pour la paix, dans tous les cas une difficulté des plus sérieuses ? Ce qui a évidemment tout compliqué, c’est qu’on s’est laissé aller à des sentimens de sympathie plus naturels que prévoyans, plus littéraires que politiques, c’est qu’on est sorti par degrés des termes où l’on s’était renfermé d’abord au congrès de Berlin. De quoi s’agissait-il primitivement ? Les puissances n’avaient fait rien de plus qu’inviter la Porte à s’entendre avec la Grèce pour une rectification de frontières en Épire et en Thessalie. Ceci n’avait trouvé place que dans un protocole. Le traité lui-même n’en dit rien ; il s’est borné à prévoir dans un de ses articles le cas où, à défaut d’une entente directe entre la Turquie et la Grèce, les puissances pourraient s’offrir comme médiatrices. C’était une simple invitation, un simple avis sur la direction des