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DOUARNENEZ

PAYSAGES ET IMPRESSIONS


29 août.

— Mon cher, dit Tristan qui a rallumé sa pipe, à mesure que je vieillis, je vois davantage combien c’est un tort de vivre seul. Je me suis claquemuré dans le célibat comme dans une cellule, et mes amis ont fini par oublier le chemin de chez moi. Si par hasard une âme charitable essaie encore de tourner la clé dans la serrure, j’ai beau crier : « Entrez ! » la serrure s’est rouillée, et la porte ne bouge pas… Je n’entends plus rien, et je sens qu’il n’y a plus personne de l’autre côté. Que faire ? ..

— Il faut te marier. Tu as bon pied, bon œil, peu de rides, des cheveux qui ne grisonnent presque pas, et tu serais encore un mari fort présentable. — Tout en lui répondant, je baisse la glace de la portière. Le train court à traversées prairies vaporeuses ; le malin aux yeux gris, comme dit Shakspeare, effleure la crête des collines ; nos compagnons de wagon sommeillent dans leur coin ; Tristan et moi sommes seuls éveillés.

— Me marier ! reprend-il avec un soupir. Mon Dieu, je t’assure que si je rencontrais une bonne fille, point trop jeune ni trop jolie, qui s’ennuierait comme moi de la solitude, peut-être pourrais-je bien… Et encore, je n’en sais rien ; je n’ai guère l’étoffe d’un mari, j’aimerais mieux adopter un enfant trouvé ou me donner la compagnie d’un chien.