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Depuis soixante-dix ans, notre organisation judiciaire a traversé toutes nos révolutions, sans que les principes posés au commencement du siècle aient reçu quelque atteinte. Il est évident que les trois ordres de juridiction, le système de la justice civile et de la justice criminelle, les ressorts et les compétences conviennent dans leur ensemble aux mœurs et à l’état de notre société. Il peut y avoir plus d’un détail à remanier, plus d’une retouche à faire, mais le dessin général est bon.

Nous nous proposons d’examiner rapidement les changemens qui ont été réclamés, de voir dans quelle mesure ils seraient avantageux, s’ils ont été inspirés par un esprit de réforme sage ou chimérique. Nous indiquerons ensuite les modifications que l’expérience suggère et que, suivant nous, la prudence impose.

La suppression de l’appel, le juge unique à tous les degrés et le jury civil, telles sont les propositions qui, jointes ou séparées, ont été mises en avant par les adversaires les plus résolus de notre organisation judiciaire. Ce n’est pas ici la place de discuter à fond ces réformes. Il y a des heures où certaines utopies sont menaçantes ; d’autres où les théories ne sont pas en faveur. Le droit d’appel n’est guère attaqué de nos jours que pour servir de prétexte à la destruction des cours, le juge unique n’est préconisé qu’afin d’aider à la suppression des tribunaux. Le jury civil trouve peu de partisans, mais ils essaient de remédier à leur rareté par une ardeur qui tient du prosélytisme. Nous croyons que, de ce côté, le péril n’est pas sérieux : le peuple respecte ses juges, mais les croit faillibles ; il tient à l’appel ; il a confiance dans la délibération, et s’il s’incline devant le juge unique de son canton, c’est précisément parce qu’il sait qu’une révision est possible. Enfin, le jury civil aurait tous les mérites qu’il ne saurait prévaloir contre deux objections : la preuve, facile à donner, de la charge qu’il imposerait aux justiciables, et ce fait que les peuples les plus attachés au jury criminel voient décliner la faveur attribuée au jury civil. La nature de ces projets et l’accueil qu’ils ont reçu sont la meilleure démonstration de la valeur de notre organisation. L’opinion des jurisconsultes est faite : le barreau est partisan du. système général de notre justice., Où trouver de meilleurs témoins, des appréciateurs plus compétens et plus dignes de guider l’opinion publique ? Il est donc permis de dire, sans crainte de se tromper, que la France est attachée à ses tribunaux, qu’elle ne les verrait pas bouleverser sans répugnance, qu’elle veut les perfectionner, non les détruire.

Non-seulement il est facile de discerner ce qu’elle ne veut pas ; mais, chose plus rare, il est assez aisé de découvrir ce qu’eus souhaite. Sous tous les régimes on a demandé avec une singulière unanimité la réduction du nombre des juges, afin que leur situation fût relevée.