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Nous connaissons quelques exceptions, dignes modèles de ce portrait, mais combien elles sont rares ! Le mouvement de centralisation qui a dépeuplé les campagnes au profit des villes et qui soulève les plaintes des agriculteurs est bien plus sensible parmi les notables du canton, et un département peut se tenir pour favorisé quand le chef-lieu d’arrondissement n’a pas subi l’effet de cette émigration. Aussi est-il impossible de trouver en certains cantons des candidats convenables. De là cette déplorable coutume de faire venir de loin le juge de paix et de jeter ainsi dans un bourg rural un magistrat qui ne connaît ni les usages locaux qui éclaireraient sa justice, ni les mœurs d’une contrée. Ce système n’a pas seulement affaibli l’influence du juge, il a altéré son caractère. Tel personnage déclassé, que nul n’aurait osé proposer au garde des sceaux pour un siège en son arrondissement, a pu briguer, en récompense de je ne sais quel service électoral une justice de paix éloignée de la ville où il est trop connu. Il serait profondément injuste de dire que tous les juges de paix sont des hommes qui n’ont pu réussir dans leur profession première, mais il serait également injuste de nier qu’il n’est pas de déclassé de la politique ou de la basoche qui ne se soit cru propre à être juge de paix, et que malheureusement, dans ce rêve de leur ambition, tous n’ont pas échoué.

Il ne suffit pas de choisir, par un des moyens dont nous parlerons plus loin, un magistrat capable ayant des racines dans le pays et entouré de l’estime publique : il faut que le nouveau magistrat soit assuré contre les volontés d’un ministre qui serait l’instrument trop docile des caprices ou des vengeances locales. L’inamovibilité a été demandée ; mais le corps des juges de paix est tel qu’une assimilation complète avec la magistrature est quant à présent impossible. Lorsque leur niveau sera plus élevé, leur capacité moins contestée, l’inamovibilité pourra leur être conférée. Jusque-là il faut leur accorder une protection sérieuse, non une garantie absolue ; il pourrait être décidé que les révocations ou déplacemens n’auraient lieu que sur avis conforme des cours d’appel, qui exerceraient à l’égard des juges de paix une sorte d’action disciplinaire[1]. En dehors de mesures délibérées et motivées, le juge serait assuré de demeurer sur son siège. En certains cas, nous voudrions que l’inamovibilité pût lui être conférée. Dans chaque arrondissement, un certain nombre de juges de paix recevraient comme marque d’honneur le titre et les fonctions de juge suppléant au tribunal de première instance. Ce serait la récompense de leur mérite et le point

  1. La constitution belge a accordé aux juges de paix l’inamovibilité, mais en revanche elle a exigé d’eux les mêmes garanties de capacité que pour les membres des tribunaux, c’est-à-dire le grade de docteur en droit.